Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/225

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dire de la fameuse plante de gin seng dont on fait tant de cas dans tout l’empire, qui y est d’un très grand prix, et que les médecins chinois regardent comme le plus excellent cordial. Elle ne croît que dans la Tartarie ; car celle qui croît dans la province de Se tchuen ne mérite pas qu’on en parle ; c’est en dressant la carte de ce pays-là par ordre de l’empereur, que le père Jartoux eut l’occasion et le loisir de bien examiner cette plante qu’on lui apporta fraîchement cueillie, de la dessiner dans toutes ses dimensions, et d’en expliquer les propriétés et l’usage.

« Les plus habiles médecins de la Chine, dit ce Père, la font entrer dans tous les remèdes qu’ils donnent aux grands seigneurs ; car elle est d’un trop grand prix pour le commun du peuple. Ils prétendent que c’est un remède souverain pour les épuisements causés par des travaux excessifs de corps et d’esprit, qu’elle dissout les flegmes, qu’elle guérit la faiblesse des poumons et la pleurésie, qu’elle arrête les vomissements, qu’elle fortifie l’orifice de l’estomac, et ouvre l’appétit, qu’elle dissipe les vapeurs, qu’elle remédie à la respiration faible et précipitée en fortifiant la poitrine, qu’elle fortifie les esprits vitaux, et produit de la lymphe dans le sang, enfin qu’elle est bonne pour les vertiges et les éblouissements, et qu’elle prolonge la vie aux vieillards.

On ne peut guère s’imaginer que les Chinois et les Tartares fissent un si grand cas de cette racine si elle ne produisait constamment de bons effets. Ceux mêmes qui se portent bien, en usent souvent pour se rendre plus robustes. Pour moi je suis persuadé, qu’entre les mains des Européens qui entendent la pharmacie, ce serait un excellent remède s’ils en avaient assez pour faire les épreuves nécessaires, pour en examiner la nature par la voie de la chimie, et pour l’appliquer dans la quantité convenable, suivant la nature du mal auquel elle peut être salutaire.

Ce qui est certain, c’est qu’elle subtilise le sang, qu’elle le met en mouvement, qu’elle l’échauffe, qu’elle aide à la digestion, et qu’elle fortifie d’une manière sensible. Après avoir dessiné celle que je décrirai dans la suite, je me tâtai le pouls pour savoir dans quelle situation il était ; je pris ensuite la moitié de cette racine toute crue sans aucune préparation ; et une heure après je me trouvai le pouls beaucoup plus plein et plus vif ; j’eus de l’appétit, je me sentis beaucoup plus de vigueur, et une facilité pour le travail que je n’avais pas auparavant.

Cependant je ne fis pas grand fond sur cette épreuve, persuadé que ce changement pouvait venir du repos que nous prîmes ce jour-là ; mais quatre jours après, me trouvant si fatigué et si épuisé de travail, qu’à peine pouvais-je me tenir à cheval, un mandarin de notre troupe qui s’en aperçut, me donna une de ces racines : j’en pris sur-le-champ la moitié et une heure après je ne ressentis plus de faiblesse. J’en ai usé ainsi plusieurs fois depuis ce temps-là, et toujours avec le même succès. J’ai remarqué encore que la feuille toute fraîche, et surtout les fibres que je mâchais, produisaient à peu près le même effet.

Nous nous sommes souvent servis de feuilles de gin seng à la place de thé,