Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/605

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inutile d’or, d’argent, de bijoux, il fit une curieuse recherche d’oiseaux, de poissons, de tortues, de bœufs, et de chevaux extraordinaires, de tigres, même de léopards, et de semblables bêtes féroces ; le tout pour des étangs et pour une ménagerie dans l’intérieur du palais, propre à servir de divertissements aux femmes. Chose indécente, s’il en fut jamais, contraire à la volonté de Tien, et je crois même, quoiqu’en dît alors Ho quang, peu conforme aux ordres que Vou ti lui avait laissés en mourant.

Depuis ce temps-là, le mal n’a fait que croître. Sous Suen ti, c’était à qui aurait le plus de femmes. Tel tchu heou en avait des centaines. Il en fut de même chez tous les gens riches. Au-dedans c’était nombre de femmes presque uniquement occupées à déplorer leur sort, et à faire mille imprécations. Au dehors, une foule d’hommes fort inutiles. Un officier, par exemple, d’une condition assez médiocre, entretenait pour son plaisir quelques dizaines de comédiens, Le peuple cependant souffrait. Il mourait beaucoup de monde ; et l’on eût dit qu’on prenait à tâche tout à la fois de peupler les sépultures, et de dépeupler l’univers. Le mal a commencé par la cour, mais il est devenu presque général. Chacun se fait comme une loi de suivre ce que déjà bien des règnes ont mis en vogue. Voilà où en sont aujourd’hui les choses ; et je ne puis y penser sans la plus vive douleur.

Je conjure V. M. de remonter un peu plus haut que ces derniers règnes, d’examiner avec attention, et d’imiter la louable épargne de quelques-uns de vos ancêtres ; de retrancher les deux tiers des dépenses de votre cour, en meubles, en habits, et en équipages. Le nombre des enfants que vous pouvez espérer, ne dépend pas du grand nombre de vos femmes. Vous pouvez choisir sur ce nombre une vingtaine des plus vertueuses, et renvoyer le reste chercher des maris. Quarante chevaux dans vos écuries, c’est bien assez. De tous ces parcs qui sont si vastes, réservez-en un, si vous voulez ; donnez tous les autres à cultiver au pauvre peuple. Dans un temps de misère et de stérilité comme celui-ci, les retranchements que je propose, ne sont-ils pas indispensables ? Pouvez-vous n’être pas sensible à ce que souffrent vos peuples, et ne pas penser efficacement à les soulager ? Serait-ce répondre aux desseins de Tien ? Ce Tien, quand il fait les rois[1], c’est pour le bonheur des peuples. Son intention n’est point sans doute de mettre un homme en état de se divertir à son gré. Ne présumez point trop, dit le Chi king à ceux qui règnent, de ce que Tien a fait en votre faveur. Il peut y avoir des retours fâcheux. Régner comme il faut, n’est pas chose si facile. Chang ti[2], vous examine de fort près. Ne partagez point votre cœur.


Une glose dit que Yuen ti prit fort bien cette remontrance ; qu’en conséquence il retrancha de ses habits, de ses meubles, et de ses chevaux ; qu’il défendit qu’on nourrit de viandes aucun des animaux de la ménagerie ; qu’il renvoya tous ses comédiens ; et qu’il abandonna aux peuples une grande partie de ses parcs.

  1. Le chinois dit les Ching gin.
  2. Le suprême empereur.