les odeurs les plus différentes, et ne pouvoir pas distinguer d’une pierre des plus communes un diamant du plus haut prix.
Mais c’est encore un bien plus grand mal, quand le prince assez éclairé pour savoir démêler les gens d’une vertu solide et d’un vrai mérite, d’avec ceux qui n’ont ni l’un ni l’autre, néglige d’éloigner ceux-ci, ou d’avancer ceux-là. Vous avez, grand prince, un courage intrépide, joint à un esprit des plus pénétrants. Vous joignez à un air majestueux une habileté non commune. Mais vous ne modérez pas, ce me semble, assez votre amour et votre haine, et cela vous fait un grand tort. De là vient que tout passionné que vous êtes en général pour les gens de mérite et de vertu, vous n’en faites pas trop bien le choix. De là vient qu’à votre cour il y a encore des flatteurs, quelque aversion que vous en ayez. Vous vous laissez surtout trop emporter à votre aversion pour le mal. Quand on vous dit du bien de quelqu’un, vous semblez ne le pas croire. Vous dit-on du mal ? Vous le tenez d’abord pour certain. Toutes supérieures que sont vos lumières, il vaut toujours mieux vous en défier ; et votre conduite en ce point me paraît sujette à bien des inconvénients. Comment cela ? Le voici.
Comme c’est le propre des honnêtes gens de ne dire des autres que le bien qu’ils en savent, au contraire c’est la coutume des âmes basses de médire indifféremment de tout le monde. Si le prince croit facilement le mal qu’on dit, et se rend difficile à croire le bien, c’est donner cours aux médisances et aux calomnies ; c’est conséquemment ouvrir la porte aux méchants, et la fermer aux gens de bien. Ce défaut est de conséquence ; car il met comme un mur de séparation entre le prince et ses bons sujets. Vient-il ensuite à naître des troubles ? Le prince et l’État sont-ils en danger ? Il ne se trouve à la cour que gens incapables d’y remédier. Il y a deux sortes de liaisons qu’il importe de bien distinguer. La première est des gens de mérite entr’eux. La vertu en est le nœud. Ils s’estiment mutuellement. Cette estime les engage à se soutenir dans l’occasion, et à se pousser les uns les autres ; mais c’est toujours par les bonnes voies. La seconde est des âmes basses et des méchants : sans s’estimer et sans s’aimer, ils ne laissent pas de s’unir par intérêt, et de s’aider mutuellement dans leurs intrigues. La première de ces liaisons n’a rien que d’honnête en elle-même, et ne peut être qu’utile au prince. La seconde est pure cabale, et rien n’est plus pernicieux. Le mal est qu’on peut s’y méprendre, et les suites en sont terribles. Car si le prince prend pour cabale ce que disent ou font les uns pour les autres des gens de vertu et de mérite, il est en garde, il s’en défie, et n’y a aucun égard. Si par une seconde erreur il prend pour un zèle droit et sincère la liberté avec laquelle on lui dit du mal de celui-ci et de celui-là, et s’il croit ce qu’on lui en dit ; c’est encore bien pis : il éloignera ses meilleurs sujets ; du moins il s’en défiera. Ils s’en apercevront bientôt ; mais en éloignant la cause, ils ne pourront donner au prince les éclaircissements convenables. Ceux des officiers subalternes, qui sont instruits des intrigues, n’osent parler et les découvrir. Ce mal se répand de la cour dans les provinces, et si l’on n’en coupe pas au plus tôt la racine, il a toujours de funestes suites : il