Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/775

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la faveur, veut usurper l’autorité de souverain, et n’en laisser à son maître que le nom, comment s’y prend t-il ? Au-dedans avec le prince, rien de plus humble en apparence, rien de plus doux et de plus soumis. Tout ce que le prince souhaite ou propose, le favori le trouve bon : bien loin de s’y opposer, il ne manque jamais de raisons pour l’appuyer. Le prince séduit par ses artifices, le goûte de plus en plus, il l’aime, tout indigne qu’il est de son amitié ; il l’écoute volontiers : enfin toute sa confiance est en lui, et bientôt le souverain content de ce nom, abandonne à ce favori l’autorité toute entière. C’est alors que cet ingrat fait connaître à tout l’empire le degré de faveur où il est monté. Il prend hardiment la balance en main, et décide sans hésiter de la vie ou de la fortune des uns et des autres. Punitions, grâces, tout vient de lui, comme s’il n’y avait plus d’empereur. Il détruit l’un, il élève l’autre : il n’y a que ses créatures en place : tous ses officiers grands et petits sont à lui, et s’empressent à l’envi de devenir ses confidents. Voilà le favori devenu maître : l’empire ne manque point d’en souffrir. Mais le mal est comme sans remède.

Voyons maintenant ce que fait celui que j’appelle un homme de crédit et d’autorité. Qu’il y a de différence entre l’un et l’autre ! Si le prince, comme il arrive quelquefois, par un emportement de passion, veut s’engager mal à propos dans quelque folle entreprise, il s’y oppose avec droiture ; et représente avec respect, mais en même temps avec force, les raisons qui peuvent l’en détourner. S’il arrive que le prince, sans les détruire et sans y avoir égard, s’obstine à ce que sa passion lui inspire, quoiqu’évidemment contraire à son honneur et au bien de son État ; en ce cas, il laisse dire le prince, et sans suivre ce que la passion lui fait ordonner, il prend le plus sage parti qu’il peut pour le bien commun de l’État, et pour l’honneur de son prince, lequel étant revenu de la passion qui le troublait, et voyant le tort qu’il se serait fait, lui sait alors très bon gré d’avoir autrement disposé les choses. Il est clair que c’est l’empereur qui doit être à la cour et dans tout l’empire le premier mobile de tout. Mais le bien de l’État demande aussi qu’à sa cour il ait un nombre d’officiers respectables, qui se fassent un devoir et une occupation de veiller sans relâche au bien commun, qui ayant l’honneur d’approcher du prince, soient incapables d’une complaisance lâche et intéressée, qui les fasse s’accommoder à ses passions ; qui revêtus d’un emploi, dont les marques seules ont quelque chose de formidable, au lieu d’en faire parade par ostentation, s’en acquittent de telle sorte, qu’une crainte respectueuse retienne dans le devoir tout ce qui est au-dessous d’eux ; et que le prince tout supérieur et tout souverain qu’il est, sente cependant que tout ne lui est pas permis.

Voilà comme se comporte celui que j’appelle un homme d’autorité : conduite certainement bien éloignée de celle que tient un ambitieux favori ; aussi leurs vues sont-elles bien différentes. L’un cherche à se rendre maître et à s’enrichir, L’autre n’a en vue que le bien commun et l’honneur du prince. Tout l’empire peut-il s’y méprendre ? Je dis donc, que comme l’ambitieux favori est une peste, au contraire il importe que l’État