Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/812

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communément des inclinations et des vues proportionnées à leur talent. C’est sur cela, et non sur une maxime souvent fautive, que le prince se doit régler, et les traiter différemment, suivant leur différente disposition. On a un cheval excellent d’une vigueur et d’une vitesse extraordinaire. On le nourrit avec soin : tout ce qu’on lui donne à manger est bien choisi ; on tient nette son écurie : il n’y a pas jusqu’à l’eau où il se baigne, qu’on veut être vive et pure. Arrive-t-il quelque cas pressant ? On fait faire à ce cheval cent lieues d’une traite. Il sent qu’on veut cela de lui, il le fait sans regimber : ce n’est pas l’espérance qui l’anime. On ne peut guère après sa course le mieux panser, qu’on n’a fait devant.

Au contraire on nourrit un oiseau de chasse. S’il prend un faisan, on lui donne aussitôt un moineau pour récompense ; s’il prend un lièvre, on lui donne un rat. Il connaît par-là, qu’on ne lui donnera qu’à proportion qu’il chassera bien, il en fait mieux son devoir, et prend plus de gibier qu’il ne ferait, s’il n’espérait rien. Les gens d’un talent rare, et qui répondent à leurs talents par de grandes vues et de nobles projets, je les compare à l’excellent coureur. Ne leur pas faire beaucoup de bien par avance, c’est comme si faisant jeûner longtemps ce cheval, vous exigiez de lui cent lieues d’une traite, sauf à lui bien donner ensuite à manger. Pour les autres, dont le talent n’est que médiocre, et qui conséquemment ont aussi le cœur tout autrement disposé, je les compare à l’oiseau de chasse, qui, quand il est rassasié, ne rend plus de service. C’est au prince à bien étudier les dispositions et les talents de ceux qu’il emploie, pour y proportionner sa conduite.

Han sing ne se fut pas plus tôt rangé du côté de Kao ti[1], que celui-ci le fit généralissime de ses armées. King pou, en sortant de saluer pour la première fois ce même prince, se trouva honoré du titre de vang, et fut traité comme tel. Pong yué fut d’abord élevé par ce même prince au rang de ministre. Ces trois hommes cependant n’avaient point encore suivi son parti. Ils le servirent très bien dans la suite, et poussèrent fortement le parti contraire : mais ils étaient puissants et riches des libéralités de Kao ti, lorsque ce parti subsistait encore. Ils moururent même avant que les Han fussent absolument maîtres de l’empire. Pourquoi Kao ti en usa-t-il ainsi à leur égard ? C’est qu’il connaissait leur capacité et leur génie. Il vit bien qu’ils n’étaient pas gens à s’attacher pour peu de chose, ou à se relâcher quand leur fortune serait faite. Il en use tout autrement avec Fan hoei, Tun kong, et Koan yng. Prenaient-ils sur ses ennemis une ville ? Remportaient-ils quelque léger avantage ? A proportion de leurs services, il les élevait de quelques degrés, et augmentait leurs appointements. Ne faisaient-ils rien ? Il les laissait tels qu’ils étaient. De sorte que quand Kao ti, par la mort de son ennemi, se trouva seul maître de tout l’empire, ces trois hommes comptaient chacun quelques centaines de victoires. Alors Kao ti les fit

  1. C'est le même qu'on appelle aussi Kao tsou premier empereur de la dynastie Han.