Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/877

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êtes sorti, il n’y a pas eu un moment de paix. Il vous appartient ce royaume, mettez-vous en devoir de le recouvrer. Vous éprouverez sans doute le puissant secours de Chang ti[1].

Non, répondit le prince, non, je ne sortirai point d’ici, je veux y vivre et y mourir. La princesse redoubla ses instances, et s’efforça par divers exemples, de faire naître dans le cœur de son mari le désir de régner, et l’espérance de recouvrer son royaume. Mais voyant que c’était inutilement, elle traita l’affaire avec Kieou fan. Ils convinrent qu’elle trouverait moyen d’enivrer le prince et que ses gens l’enlevant pendant son ivresse, prendraient incessamment la route de Tsin. La chose s’exécuta selon son projet. Tchong eul revenu de son ivresse, dans un premier mouvement de colère, prit une lance, et en voulut percer Kieou fan : mais celui-ci éluda le coup. Alors Tchong eul se voyant engagé, et d’ailleurs aimant Kieou fan, si l’entreprise réussit, dit-il, à la bonne heure, je te pardonne : mais si elle échoue, je te haïrai à mort[2]. On marche, on avance, on arrive à Tsin. Mou kong donna des troupes au prince Tchong eul. Il entra sur les terres de Tsin. Dès qu’on sût son arrivée, on se défit de Hoai kong qui s’était fait roi, et on déféra la couronne au prince, qui prit le nom de Ouen kong. Tsi kiang fut en même temps déclaré reine, et on l’envoya chercher dans les États de Tsi, avec les honneurs dûs à sa dignité.


Ta tse, ministre dans le royaume de Yao pensait beaucoup plus à s’enrichir, qu’à avancer les affaires de son prince, ou qu’à se faire de la réputation. Sa femme eut beau lui faire sur cela des remontrances, il s’en moqua. Il continua pendant cinq ans, au bout desquels s’étant bien engraissé du sang du peuple, il se démit de son emploi, pour aller jouir en repos de ses richesses. Elles étaient si grandes qu’il avait en se retirant une suite de cent chariots. Pendant qu’il était encore en charge, tous les gens de sa famille tuèrent à l’envi des bœufs, pour le féliciter. Sa femme au milieu de ces conjouissances, pleurait en embrassant tendrement son fils. La mère de Ta tsi était indignée du procédé de sa bru. Quel contre-temps ! disait-elle. Pourquoi troubler ainsi la fête ? Quel oiseau de mauvais augure ?

J’ai raison de pleurer, répondit la bru : tant de grandeur, et tant de richesses sans mérite et sans vertu, menacent cet enfant des plus grands malheurs. Tsu ouen autrefois ministre dans le royaume de Tsou enrichit l’État, et négligea de devenir riche. Il fut pendant sa vie honoré du prince, et adoré du peuple : sa postérité fut comblée d’honneurs et de biens, et sa réputation fut toujours la même. Hélas que mon mari lui ressemble peu. L’éclat de la grandeur présente, et la passion d’amasser, l’occupent tout entier : l’avenir ne le touche point. Il y a, dit-on, dans les montagnes du midi une espèce de léopard, qui tout féroce et tout vorace qu’il est, demeure plutôt sept jours sans manger, que de sortir par un temps pluvieux, de peur que sa peau ne perde son lustre. Plus les chiens et les cochons sont gras, plus ils sont

  1. Chang suprème. Ti empereur, seigneur.
  2.  mot à mot, j’aurai le cœur à manger ta chair.