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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/229

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Pourquoi vouloir s’enfoncer dans une forêt de colonnes et de charpente, et s’enfermer dans de vastes enceintes de murailles où il y aurait de quoi s’égarer ? Pourquoi faire venir des provinces éloignées du marbre, des arbres, et des fleurs extraordinaires, afin d’embellir un lieu, qui est moins pour votre usage, que pour régaler vos amis.

Vous aimez la musique ; un concert d’instruments et de voix vous charme. Je ne blâme point que dans un cabinet, à la vue d’un beau parterre, ou bien la nuit pendant un beau clair de lune, vous entendiez une belle voix, ou que vous récitiez des vers en touchant d’un instrument ; c’est un plaisir honnête : mais faut-il le pousser jusqu’à entretenir chez soi une troupe entière de comédiens, de musiciens, de joueurs d’instruments, et se ruiner en ces folles dépenses ? Ces sortes de dissipateurs trouvent la fin de leurs beaux jours longtemps avant la fin de leur vie.

On voit une sorte de gens qui sont follement passionnés pour les antiques ; ils ne plaignent point la dépense, pourvu que leur cabinet soit bien fourni d’inscriptions, de peintures, de cassolettes de bronze, de vases de porcelaine, et de mille autres bijoux qui aient été travaillés dans les siècles les plus reculés ; c’est là ce que j’appelle une vraie maladie d’esprit.

Dans cet amas, combien de pièces fausses et contrefaites ! Mais je veux qu’elles soient véritables ; dites-moi, ces vases de bronze, qu’ont-ils de plus particulier que les modernes ? Ont-ils la vertu de s’échauffer sans charbon, et d’embaumer une chambre, sans qu’on y jette des bois de senteur ? L’argent que vous dépensez à ces vaines curiosités, ne serait-il pas mieux employé à l’entretien de votre famille ? N’y aurait-il pas cent bonnes œuvres à faire, qui sont préférables à ces amusements ? Ce mot des anciens est solide. Vous ne faites, dites-vous, de tort à personne : mais n’en faites-vous pas un grand au public, en tenant caché dans votre cabinet des choses d’un si grand prix ?

On doit combattre les abus et les fausses maximes. Si cependant un sot s’avise de dogmatiser, pourvu que ses discours n’intéressent ni l’honneur ni la milice, je le laisserai dire sans m’amuser à le relever. Mais si l’on attaque les grands devoirs de la vie civile ; puis-je alors me taire ? Par exemple, puis-je voir sans indignation un fils de famille faire le jour de sa naissance un fracas prodigieux dans sa maison, mettre tout en rumeur dans un quartier, s’attirer des visites et des compliments de tous côtés, donner des repas splendides, des concerts, des comédies, orner de pièces de soie les portes et les salles de sa maison ? Cet appareil, dit-on, se fait pour attirer le bonheur, et écarter les malheurs ; on voudrait, ce semble, que cette fête égalât en durée le Ciel : il ne voit pas que c’est une fête d’un jour : si son cœur conservait cet amour tendre, qu’un fils doit à ses parents, ne devrait-il pas se ressouvenir, qu’à ce jour-là même, sa mère souffrit de cuisantes douleurs en le mettant au monde ? Est-ce là un sujet de réjouissances ? Je blâme fort un pareil abus.

J’ai vu bien des fois certaines gens, qui ayant perdu ou égaré quelque chose, entraient dans une colère si violente, qu’ils brisaient les premiers