Aller au contenu

Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/243

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus beau jour. La dépense ne coûte rien, même à ceux qui sont le moins à leur aise. On dirait que l’argent qu’on emploie ce jour-là, est comme une feuille d’arbre qu’on prend dans une forêt, ou comme un grain de blé qu’on tire d’un vaste grenier. Est-ce donc que le jour Yuen siao est différent des autres jours de l’année ? Pourquoi ces folles dépenses dont on se ressentira longtemps après ? À ce jour de joie succèderont des jours pleins de tristesse et d’amertume. N’eût-il pas mieux valu payer ses dettes, et non pas en contracter de nouvelles ? On ne peut pas, dira-t-on, éviter ces dépenses ; c’est l’usage ; il faut s’y conformer. Je sais ce qu’on doit aux usages ; mais je sais aussi qu’il faut proportionner les dépenses à son pouvoir et à ses forces.

Que la fantaisie ne vous prenne point d’élever de grands bâtiments ; vous compterez d’abord de ne dépenser qu’une certaine somme. Mais avant que l’édifice soit achevé, vous verrez doubler bien des fois la somme que vous aurez fixée. Quand le corps du bâtiment sera fini, il ne faut pas croire que vous en soyez quitte ; il reste encore à blanchir et à vernisser les dedans, à couvrir le toit de tuiles rondes, et qui semblent être de bronze fondu, à ciseler et à polir de larges briques pour l’ornement ou pour le carrelage, à faire les séparations des chambres, à poser des degrés de marbre blanc devant les salles, à faire des murailles de brique percées à jour, qui séparent les appartements du parterre. La dépense ira encore bien plus loin si l’on veut peindre les planchers, et enrichir les murailles d’ornements, et de colonnes d’un bois incorruptible et odoriférant, embellir et fortifier le bois des fenêtres et des portes de bandes de cuivre.

À quoi bon tant de frais ? Croit-on par là immortaliser son nom ? Je me souviens d’avoir vu dans le Kiang si la maison du noble et savant Li po ngan : les colonnes et les poutres qui la soutenaient, n’étaient pas même rabotées ; le bois était encore couvert de son écorce ; les murailles étaient de pierre sèche et brute ; cependant il était visité de tout ce qu’il y avait de gens distingués, et l’on ne voyait personne qui trouvât à redire à son logement. On ne songeait qu’à écouter ce sage, que son mérite avait élevé aux charges, et qui était ennemi de tout faste. Grand exemple de modestie, qu’on ne saurait trop imiter.

Le soin d’inspirer la vertu à vos enfants, vous rendra, vous et votre famille bien plus recommandables, que ne feraient les plus beaux édifices. C’est une opinion commune et assez mal fondée, que le climat du nord est beaucoup meilleur que celui des provinces méridionales, et que ceux qui l’habitent, y vivent plus longtemps et plus à leur aise. Ce n’est point à la bonté du climat, mais à la sage conduite de ceux qui y vivent, qu’on doit attribuer cette longue et heureuse vie.

Pour vous en convaincre, entrons dans un petit détail. Dans les provinces du nord, les dames les plus riches allaitent elles-mêmes leurs enfants, et ne cherchent point de nourrices sur qui elles se reposent de ce soin : au lieu que dans les provinces du midi, il n’y a pas jusqu’aux femmes d’une condition médiocre, qui ne payent bien cher des nourrices étrangères. Dans les provinces septentrionales ceux qui ont des champs, les