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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/273

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lesquels il avait été autrefois volé. Ainsi le marchand se trouva sur un bon pied, et en état de s’en retourner avec honneur.


Riche attentif aux besoins des pauvres honteux.


Ouan gin fang, arrière-petit-fils du fameux Ouan ngan y, était un homme puissamment riche en argent et en fonds de terres ; jusque-là que ses grands biens lui avaient fait donner le surnom de Poan seng, qui signifie moitié de province. Mais autant qu’il était riche, autant avait-il peu d’attache à ses richesses. Il en usait honnêtement selon sa condition : du reste il faisait de grandes largesses, et avait beaucoup de compassion pour les pauvres. Quand il découvrait dans son quartier quelques familles indigentes, il se faisait un plaisir de les soulager ; et quand ces familles étaient de condition à rougir de leur pauvreté, il prenait sur soi de l’argent dans une bourse, et sortant le soir sous quelque prétexte, il prenait son temps pour faire passer cet argent dans leur maison sans être aperçu. Il soutint ainsi plusieurs honnêtes familles, dont la plupart ne sachant pas d’où leur venait un secours si peu attendu, le regardèrent, comme une faveur venue immédiatement du Ciel. Il y en eût d’autres qui jugèrent que ces secours leur venaient de la libéralité de Ouan, et qui allèrent lui en témoigner leur reconnaissance : mais il leur répondit toujours d’une manière propre à éloigner de leur idée qu’il fût leur bienfaiteur, et il refusa constamment d’accepter leurs remerciements.


Autre exemple.


Un marchand nommé Tou lieou ong, entendit pendant la nuit un voleur qui entrait dans sa maison : Il y a, dit-il de son lit, dix ou douze chin[1] de riz en tel endroit, vous pouvez les prendre à l’aise. Si cependant vous vouliez bien m’en laisser un chin, pour donner demain à dîner à deux enfants que j’ai, vous me ferez plaisir. Le voleur enleva en effet le riz, à un chin près, et rencontrant ensuite le marchand : J’ai ouï dire qu’on vous a volé, lui dit-il, cela est-il vrai ? Point du tout, dit le marchand. Quoi, dit le voleur, dernièrement pendant la nuit, on ne vola point votre riz ? Je vous ai déjà dit que non, répondit le marchand. On me l’a cependant bien assuré, répondit le voleur ; on m’a même ajouté que vous priâtes celui qui volait votre riz, de vous en laisser un chin ; qu’en est-il ? Le marchand persistant à nier le fait : Je sais ce qui en est, dit le voleur ; et c’est moi-même qui vous ai volé, mais je m’en repens : votre vertu me charme, et je veux vous rendre exactement le riz que je vous ai pris cette nuit-là. Le marchand ne se rendit pas encore, et il persista toujours à dire qu’on ne l’avait point volé.

  1. Le chin est la dixième partie du teou, et la centième partie du tan qui est une mesure de cent livres, selon la balance chinoise, et cent vingt livres selon l’européenne.