Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/51

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

<bowiki />

Dans le voyage que le père de Fontaney fît de Siam à la Chine, sur une somme chinoise, il fut témoin de toutes leurs cérémonies, aussi ridicules que superstitieuses. Ils avaient, dit-il, à la poupe de leur vaisseau une petite idole toute noire de la fumée d’une lampe, qui brûlait continuellement en son honneur ; avant que de se mettre à table, ils lui offraient les viandes préparées pour le repas ; deux fois le jour ils jetaient de petites gondoles de ce même papier, afin que s’occupant à renverser ces petits vaisseaux, elle épargnât le leur.

Que si non obstant ces présents et ces offrandes, les flots de la mer venaient à être agités extraordinairement par l’esprit, qui, selon eux, les gouverne, ils mettaient au feu beaucoup de plumes, dont la fumée et la mauvaise odeur empestaient l’air ; et ils prétendaient par là conjurer la tempête, et écarter bien loin ce mauvais démon. Mais ce fut à la vue d’une montagne, qu’on découvre en passant le canal de la Cochinchine, et où l’on a bâti un temple d’idoles, qu’ils se surpassèrent eux-mêmes dans leurs superstitions.

Après avoir offert des viandes, allumé des cierges, brûlé des parfums, jeté diverses figures de papier doré dans la mer, et s’être prosternés une infinité de fois, les matelots préparèrent un petit vaisseau fait de planches, et long d’environ quatre pieds : il avait ses mâts, ses cordages, ses voiles, et ses banderoles, sa boussole, son gouvernail, sa chaloupe, son canon, ses vivres, ses marchandises, et même son livre de compte. On avait disposé à la poupe, à la proue, et sur les cordages, autant de petites figures de papier peint, qu’il y avait d’hommes sur le vaisseau. On posa cette machine sur un brancard, on la leva avec cérémonie, on la promena par le vaisseau au bruit d’un tambour et d’un bassin d’airain. Un matelot habillé en bonze, conduisait la marche, et s’escrimait d’un long bâton, en poussant de grands cris. Enfin elle fut descendue lentement dans la mer, et on la suivit des yeux, aussi loin qu’il fut possible. Le prétendu bonze monta sur la dunette, où il continua ses acclamations, en lui souhaitant un heureux voyage.

Comme il y a des assemblées de femmes où président les bonzes, il y a aussi des assemblées d’hommes qu’on appelle les Jeûneurs, Tchang tchai. Chaque assemblée a son supérieur, qui est comme le maître des autres, et qui a sous lui bon nombre de disciples qu’on appelle Tou ti. Ils lui donnent le nom de Sseë fou, qui veut dire Docteur-père.

Lorsqu’on a de l’industrie, ou qu’on s’est fait quelque réputation, on parvient aisément à cette charge. On conserve dans une famille quelque vieux livre écrit à la main, qui a passé de père en fils depuis plusieurs années. Ce livre est rempli de prières impies que personne n’entend ; il n’y a que le chef de la famille qui sache les réciter. Quelquefois ces prières sont suivies d’effets surprenants ; il n’en faut pas davantage pour élever un homme à la qualité de Sseë fou, et pour lui gagner quantité de disciples.

Les jours que doit se tenir l’assemblée, tous les disciples sont avertis de s’y rendre, et nul n’oserait y manquer. Le supérieur est assis dans le