Les peaux des zibelines de ce pays sont aussi fort estimées par les Tartares, sur tout parce qu’elles sont de durée et d’un bon usage : mais quelle peine ne coûtent-elles pas aux chasseurs les Solons ta tse ! Ils sont originairement Tartares orientaux : ils se disent descendus de ceux qui se sauvèrent de la défaite générale de leur nation l’an 1204 ainsi que nous avons déjà remarqué. Ils sont encore plus robustes, plus adroits et plus braves que les habitants de ces quartiers. Leurs femmes montent à cheval, tirent de l’arc, et vont à la chasse des cerfs et d’autres bêtes fauves.
Un grand nombre de ces Tartares demeure à présent à Niergui : c’est un assez grand bourg peu éloigné de Tçitcicar et de Merghen. Nous les vîmes partir le premier d’octobre pour la chasse des martres zibelines, vêtus d’une robe courte et étroite de peau de loup, ils avaient une calotte de la même peau sur la tête, et l’arc sur le dos : ils menaient quelques chevaux chargés de sacs de millet, et de leurs longs manteaux de peau de renard ou de tigre, dont ils s’enveloppent pour se défendre du froid, surtout la nuit. Leurs chiens sont faits à la chasse, ils savent grimper, et connaissent les ruses des martres.
Ni la rigueur d’un hiver qui gèle les plus grandes rivières, ni la rencontre des tigres qu’il faut souvent combattre, ni la mort de leurs compagnons, ne les empêchent pas de retourner chaque année à une entreprise si pénible et si dangereuse qu’ils ne pourraient sans doute soutenir, si elle ne faisait toutes leurs richesses. Les plus belles peaux sont pour l’empereur, qui en donne un prix fixé pour un certain nombre. Les autres se vendent assez chèrement, même dans le pays, et ne se trouvent pas en grand nombre ; parce qu’elles sont d’abord achetées, partie par les mandarins des lieux, et partie par les marchands de Tçitcicar.
Les limites de ce gouvernement du côté de l’ouest et de la Tartarie des Moscovites sont deux rivières médiocres : l’une vient du sud, au-dessous du cinquantième, se jeter dans le Saghalien ou la, presqu’au quatrième degré de longitude orientale, compté du méridien de Peking ; elle s’appelle Ergoné, et n’est distinguée que parce qu’elle sert de bornes à l’empire. De l’autre côté du fleuve, un peu nord-ouest de l’embouchure d’Ergoné vient aussi du nord la petite rivière Aigué Kerbetchi, dont le cours est encore moins long.
De là on compte encore cinquante lieues jusqu’à Niptchou la première ville des Moscovites, presque sous le méridien de Peking, située aussi sur le bord boréal du même Saghalien ou la, et ainsi appelée de la rivière Niptchou, qui dans cet endroit se jette dans le fleuve. Elle est bâtie, dit-on, à peu près comme Tçitcicar. Elle a sa garnison composée de soldats, la plupart Sibériens et Tartares dépendants, mais commandée par des officiers moscovites. Sa hauteur a été trouvée l’an 1689 par les pères Thomas et Gerbillon de 51 degrés et 45 minutes, et elle s’accorde fort bien avec celle que nous avons prise à Saghalien ou'la hotun, et à trente-une lieues de cette ville, en remontant le fleuve, jusques dans un lieu où sont les gardes tartares, nommé Ouloussou moudan.