Page:Du halde description de la chine volume 4.djvu/90

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bête sauvage ; s'il est monté, de combien de pas il marche, combien de secousses différentes il fait éprouver au cavalier. Pour tout cela et pour beaucoup d'autres choses, les Tartares ont des mots uniquement destinés à les exprimer. Cette abondance est-elle bonne ? est-elle mauvaise ou inutile ? C’est ce qui n'est pas aisé de décider. Ce qu'il y a de certain, c’est que si elle charge la mémoire de ceux qui l'apprennent, surtout dans un âge avancé, elle leur fait beaucoup d'honneur dans la conversation, et est absolument nécessaire dans la composition. Du reste on ne voit pas d'où ils ont pu tirer cette multitude étonnante de noms et de termes pour exprimer ce qu'ils veulent : ce ne peut être de leurs voisins : ils ont à l'occident les Tartares Mongous, et dans les deux langues il n'y a guère que sept à huit mots semblables ; on ne peut dire même à qui ils appartiennent originairement. A l'orient se trouvent quelques petites nations jusqu'à la mer qui vivent en sauvages, et dont ils n'entendent point la langue, non plus que de ceux qui sont au nord. Au midi ils ont les Coréens, dont la langue et les lettres, qui sont chinoises, ne ressemblent en rien à la langue et aux caractères des Tartares. Quoiqu'ils n'aient qu'une sorte de caractères, ils les écrivent cependant de quatre façons. La première, est quand on écrit avec respect, c'est-à-dire, en caractères semblables à ceux qui se gravent sur la pierre et sur le bois, ce qui demande beaucoup de temps. Un écrivain ne fait pas plus de vingt ou vingt-cinq lignes en un jour, surtout lorsqu'elles doivent paraître devant l'empereur. Si un coup de pinceau d'une main trop pesante, forme le trait plus large ou plus grossier qu'il ne doit être ; si par le défaut du papier il n’est pas net ; si les mots sont pressés et inégaux ; si on en a oublié un seul : dans tous ces cas et dans d'autres semblables, il faut recommencer. Il n’est pas permis d'user de renvoi, ni de suppléer à la marge : ce serait manquer de respect au prince. Aussi ceux qui président à l'ouvrage, ne reçoivent point la feuille, où ils ont remarqué un seul de ces défauts. Il n’est pas plus permis de commencer une ligne par un demi mot, qui n'aura pu être dans la ligne précédente : il faut tellement prendre ses précautions, et si bien mesurer son espace, que cet inconvénient n'arrive pas. La seconde façon d'écrire est fort belle et peu différente de la première, et cependant donne beaucoup moins de peine. Il n’est pas nécessaire de former à traits doubles les finales de chaque mot, ni de retoucher ce qu'on a fait, ou parce que le trait est plus maigre dans un endroit que dans un autre, ou parce qu'il est un peu baveux. La troisième façon d'écrire est plus différente de la seconde, que celle-ci ne l’est de la première, c’est l'écriture courante : elle va vite, et l'on a bientôt rempli la page et le revers. Comme le pinceau retient mieux la liqueur que nos plumes, on perd moins de temps à l'imbiber d'encre ; et quand on dicte à l'écrivain, on voit son pinceau courir sur le papier d'un mouvement très rapide, et sans qu'il s'arrête le moindre instant. C’est le caractère le plus d'usage pour écrire les registres des tribunaux, les procès, et