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Page:Dubois - Tombouctou la mystérieuse, 1897.djvu/45

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LE NIGER

fois hostiles, tout entier entre leurs mains, jamais je n’ai eu la sensation ni même la pensée que ma sécurité était menacée. Est-ce la supériorité de l’homme blanc en pays nègre — conviction dont il faut être fortement imprégné, quoi qu’en aient la modestie et la philosophie, lorsqu’on se fraye, seul, son chemin en ces pays vierges — qui me donnait cette quiétude ? Ne procédait-elle pas aussi du spectacle des mœurs aimables que chaque jour j’avais sous les yeux : la litanie des bonjours et des compliments que mes hommes échangeaient avec les Bosos des pirogues que nous croisions ou devancions, la bonté et le désintéressement qu’ils se témoignaient entre eux alors que les uns aux autres étaient inconnus ? Rencontrions-nous des Bosos pêchant, spontanément ils offraient aux miens une part de leur prise, quelques beaux poissons ou un quartier de caïman. À peine ralentissait-on pour embarquer le présent ; les remerciements volaient encore que nous étions loin. « Tara ! Tara ! Bosos. »

Est-il surprenant, dès lors, qu’elles me parurent bien douces, les heures que je passais ainsi dans tes vastes domaines, ô Niger ? N’est-il pas probable qu’elles me resteront en mémoire parmi les meilleures de la vie, lorsque l’âtre aura vu flamber mon bâton de voyageur ?

Elles demeureront comme le souvenir d’une croisière dans l’infini de l’espace et de la liberté ; comme une échappée hors des mille entraves que l’homme a mises à l’homme sous prétexte de progrès ; comme une vision de l’existence des primitifs, qui ignoraient la notion du bien et du mal, et vivaient sans efforts, sans lois, sans gendarmes, une vie juste et bonne ; comme une fuite loin de tout ce que la civilisation a mis de pourriture et de fausseté dans le cœur