Aller au contenu

Page:Dubois - Tombouctou la mystérieuse, 1897.djvu/60

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
44
TOMBOUCTOU LA MYSTÉRIEUSE

Le moment où le soleil décline à l’horizon est aussi celui où la vie sur le fleuve atteint sa plus grande intensité avant de cesser brusquement avec l’obscurité subite. Aux abords des villages, les pirogues se multiplient pour ramener au logis les travailleurs des champs, les marchands ambulants ou les gens des localités voisines venus pour le marché du lendemain. La barque du passeur fait gaiement retentir le fleuve de jacassements, de rires, de bêlements, et de cris de poules effarées. Au-dessus des arbres du village, les vautours charognards planent longuement avant de gîter, comme pour faire des signes d’invite aux voyageurs attardés sur l’eau ou sur terre.

Au delà des lieux habités, les hippopotames timides se sentant redevenus seuls maîtres du fleuve, prennent de grotesques ébats à fleur d’eau, attendant encore prudemment les ombres de la nuit pour se risquer à terre et pâturer. C’est aussi l’heure où il semble avoir neigé sur les arbres géants des berges, couverts de centaines d’aigrettes en sommeil.

Comme chacun je ralliais alors un village et faisais dresser ma nappe sur quelque terre de gazon ou de grève près du rivage. Très suivis et très animés, mes dîners. C’étaient, d’abord, des enfants qui y venaient, certes curieux de voir l’homme blanc, mais craintifs aussi, s’avançant timidement, ayant à mon égard quelque chose de cette peur que le nègre inspire aux enfants blancs. Un morceau de sucre les apprivoisait facilement. Bientôt prévenus, le chef et les notables du village arrivaient, tant pour me donner le salut que pour offrir en cadeau (lire : en vente) du lait, des œufs ou quelques volailles. Les affaires réglées, je les retenais facilement avec un peu de tabac ou de sel, les deux denrées précieuses. La nuit survenant, on allumait de grands feux. Ils tiraient leur petite pipe en terre, leur tabatière ou une noix de kola, et de longues causeries s’engageaient.