Le spectacle se prolongeait ainsi à perte de vue, en amont et en aval. Et il semblait voir couler côte à côte deux fleuves distincts : sur la droite, un fleuve vivant, tout d’argent ; sur la gauche, un fleuve mort, tout d’encre, à grandes vagues noires et immobiles.
Aux hautes eaux seulement, le passage de Sotouba devient navigable. Le Niger couvre le chaos de roches, mais, au lieu d’un rapide étroit, il forme un rapide énorme, de navigation dangereuse. La violence du courant est telle, qu’une pirogue partie de Bammakou atteint, en trois heures à peine, Toulimandio distant de 45 kilomètres.
À Toulimandio le fleuve reprend des allures normales. Nous avons installé là un petit port où viennent s’embarquer les voyageurs et les vivres à destination du nord du Soudan.
C’est la tête de ligne de la route de Tombouctou.
Point de fort, ni de meurtrières, ni de garnison ; simplement une habitation de lignes vaguement européennes, construite en pisé et en chaume comme une demeure indigène. Sur le toit flotte le drapeau tricolore, et sous le toit vivent un brigadier d’artillerie et un canonnier.
Ils me rappellent tout à fait les deux sapeurs de Dioubéba. Au lieu de s’occuper de rails et de wagons, et de jouer au chef de gare, les deux artilleurs font respectivement fonction d’amiral et de vice-amiral, et commandent la flottille des chalands de transport. Mais leur contentement égale celui de leurs camarades du Bakoy. Ils se sont entourés de singes, de pintades, de poules et ont remplacé l’hippopotame rose de Dioubéba par un petit caïman qui, lui, m’a semblé n’avoir aucune disposition pour l’apprivoisement : il n’aurait fait qu’une bouchée de la main qui se serait avisée de le caresser. Aussi lui a-t-on passé une forte corde entre les deux pattes et le tient-on à l’attache comme un chien.