Page:Dubos - Histoire critique de l'établissement de la monarchie françoise dans les Gaules, Tome I, 1742.djvu/240

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l’empire que les francs emmenoient dans leur païs comme prisonniers de guerre, y enseignoient à leur maître ou à ses enfans quelque chose de ce qu’ils sçavoient, et le Franc qui avoit été captif dans les Gaules, n’en revenoit pas aussi sans y avoir pris quelque teinture des arts et même des sciences qui pouvoient être à portée de son esprit. Salvien qui écrivoit au milieu du cinquiéme siécle, dit que les Francs étoient des hôtes très-commodes, c’est-à-dire qu’ils étoient des troupes auxiliaires avec qui les Romains des païs où elles avoient des quartiers, pouvoient vivre en bonne amitié. Nous verrons dans la suite que l’historien Agathias qui écrivoit dans le sixiéme siécle, dit que les Francs étoient par leurs mœurs et par leurs manieres, plus semblables aux Romains, qu’ils ne l’étoient aux autres barbares. Il est impossible, en effet, que deux nations, dont l’une est polie, et dont l’autre n’est point encore civilisée, habitent durant deux siécles sur la frontiere, et pour ainsi dire, en vûë l’une de l’autre, sans que la nation sauvage se polisse, à moins qu’elle ne soit du nombre de ces peuples malheureux que l’intemperie du climat sous lequel ils habitent, semble avoir condamnés à une stupidité invincible. Or dans les tems dont je parle, la nature ne mettoit pas plus de difference physique entre les habitans des deux rives du Rhin, qu’elle en met aujourd’hui, et l’on sçait qu’elle n’en met guéres. Il falloit donc que le séjour des Francs sur la frontiere de la Gaule les civilisât, quand même ils n’auroient eu relation avec les Romains que pour des échanges ou des rachats de prisonniers, et que par le moyen de tous les autres commerces que la guerre même oblige les ennemis les plus aigris à entretenir l’un avec l’autre ; cependant nous avons vû que nos deux peuples avoient ensemble d’étroites liaisons, qu’il leur importoit également de cultiver.

Je crois même que la nation entiere des Francs n’a point eu depuis son établissement sur la rive droite du Rhin, une guerre génerale contre l’empire. Il n’y aura point eu entre les Francs et les Romains depuis ce tems-là, une guerre de peuple à peuple. Si l’on voit à la fin du troisiéme siécle, et dans le cours du quatriéme, des Francs faire des courses dans les Gaules, ou bien y occuper par force quelque canton de païs, on voit que les Romains ne s’en prenoient pas eux-mêmes au gros de la nation, puisqu’ils ne renvoyoient pas les Francs qui portoient les armes pour le service de l’empire,