Page:Dubos - Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture, 1733.djvu/136

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oient donc nous émouvoir aussi vivement que la peinture des passions et des situations qui sont actuellement les nôtres, ou qui l’ont été autrefois. En premier lieu l’esprit n’est gueres piqué par la peinture d’une passion dont il ne connoît pas les symptômes, il craint d’être la dupe d’une imitation infidelle. Or l’esprit connoît mal les passions que le cœur n’a pas senties ; tout ce que les autres nous en racontent ne sçauroit nous donner une idée juste et précise des agitations d’un interieur qu’elles tirannisent. En second lieu, il faut que notre cœur ait peu de pente pour les passions que nous n’avons pas encore éprouvées à vingt-cinq ans. Le cœur a bien plûtôt acquis toutes ses forces que l’esprit, et il me paroît presqu’impossible qu’un homme de cet âge n’ait pas encore senti les mouvemens de toutes les passions ausquelles son temperament le condamne. Comment ceux qui n’ont pas de dispositions à sentir une passion, comment un homme qui n’est point agité par l’objet même, pourroit-il être vivement touché par sa peinture ? Comment un homme dont l’esprit est insensible à la gloire militaire, et qui ne regarde ce