Page:Dubut de Laforest - Mademoiselle de Marbeuf, 1888.djvu/2

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douces violettes, toutes ces fleurs, nées et grandies dans l’artifice, avaient des senteurs extraordinaires, des atrophies ou des hypertrophies, des contorsions aimables, des infirmités gracieuses, des airs penchés, des alanguissements, presque des obscénités de tige et de corolle, et à les toucher et à les sentir la femme vicieuse éprouva une joie énorme, car son tempérament qui l’éloignait de la nature, de l’amour simple et des jouissances naturelles, des êtres simples et de leurs harmonies, subissait, même au temple de Flore, l’irrésistible attraction des phénomènes. Juana s’était approchée de Christiane.

— Si nous causions un peu, ma belle amie ? Théâtre,voyages, modes, à votre choix. Etes-vous pour les dessous noirs !

— Les dessous noirs ? — Oui. Vous ignorez encore cette révolution mondaine ? Elle date de huit jours cependant ! Moi, je suis la mode : plus de blanc, rien que du noir ! chemise de soie noire, jupons noirs, pantalons de noires dentelles. Vive le noir !

Au soleil enflambant les vitres, la dame jouait avec la chevelure de la maîtresse du petit duc, agitait les tresses blondes autour des prismes lumineux, et. tout en parlant du noir, établissait une gamme, une symphonie des ors. Ses passions la travaillaient ; ses yeux s’agrandirent, sa peau devint moite, fiévreuse, et son torse s’électrisa, vibra, comme s’il allait en jaillir une gerbe d’étincelles. Christiane ? O ma Christiane !...

— Que me voulez-vous, madame ?

— Je... Je...

On venait de sonner à la grille, et Mlle de Marbeuf, ayant aperçu l’un de ces bonshommes bleus porteurs de dépêches, s’élançait à sa rencontre.

— Attendez ! criait M y Parànos ; vos gens ouvriront ! Quel mauvais goût !

La cousine de M. de Torcy lisait le télégramme suivant :

Mons-Paris. -Evénement grave. -Navré de ma victoire. - Gabriel et moi bien portants rentrerons cette nuit. — Amitiés.

GONTRAN.


— Eh bien ! demandait l’Espagnole, M. le duc est vainqueur, et vous ne riez pas, et vous ne dansez pas ?

— Événement grave ? Victoire ? Oh ! il me l’a tué ! Il me l’a tué ! gémissait Christiane, les dents serrées, toute livide.

— Vous avez mal compris, ma chère ! C’est Gontran qui...

— Madame, laissez...

— Vous tremblez ? Vous allez défaillir ! Voyons, appuyez-vous sur mon épaule ?...

Ce même jour, Christiane télégraphia en Belgique, à une