Aller au contenu

Page:Duchaussois - Aux glaces polaires, Indiens et Esquimaux, 1921.djvu/129

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
116
AUX GLACES POLAIRES

sept ans qui n’ait passé plusieurs jours sans manger.[1] Beaucoup, pour ne pas mourir, mangent des aliments gâtés, des racines et des plantes. Le sauvage poussé par la faim mange ses vêtements de cuir, sa tente, etc… Le sauvage infidèle mange sa femme et ses enfants. Ce n’est pas seulement le sauvage qui souffre de la faim ; le missionnaire aussi est exposé à des jeûnes rigoureux, surtout dans les voyages ; lui aussi est obligé d’en venir aux expédients pour sauver son existence. L’hiver dernier encore deux Pères de la partie sud-ouest du diocèse se sont trouvés dans la nécessité de manger du loup empoisonné (on tue les loups avec un poison très actif), du chien et une foule de choses dont on ne croirait pas que l’homme pût se nourrir… »

La famine est donc, en définitive, la noire souveraine de ces immensités perdues. C’est dans sa main spectrale qu’il faudrait placer la plume qui raconte la vie du Nord, pour mettre les descriptions d’accord avec la vérité. C’est elle qui règle la marche des groupes nomades à travers les steppes et les bois. C’est elle qui décime les familles, les tribus, la nation. C’est elle qui extermine des camps entiers, dont on retrouve les cadavres en débris sur le sol, à la fonte des neiges. C’est elle qui nous apprendrait sans doute ce que sont devenus tels commerçants, tels explorateurs, tels serviteurs de ceux-ci, dont les survivants ont raconté qu’ils s’étaient perdus dans la poudrerie, mais dont les Indiens, reconnaissant un jour les restes sanglants, se disent entre eux que les plus faibles furent mangés par les plus forts.

Un mot de notre langue française, dont le sens va s’adoucissant de plus en plus pour nous, se conserve du moins, avec sa rigueur, dans les langues sauvages du Nord : jeûner.

Jeûner, c’est n’avoir plus mangé pendant des jours, pendant des semaines quelquefois.

Lorsque le dernier chasseur est rentré, sans avoir « rien

  1. Les missionnaires, expliquant et recommandant le jeûne eucharistique, la veille d’une communion, ont souvent entendu cette réflexion :

    « Comment veux-tu que je mange ? Il y a deux jours, quatre jours, que je n’ai plus rien à manger ! »