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Page:Duchaussois - Aux glaces polaires, Indiens et Esquimaux, 1921.djvu/371

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AUX GLACES POLAIRES

Le fort Nelson avait jeûné tout l’hiver. Le pays abondait en orignaux, comme toujours ; mais il était impossible de les approcher, à cause du bruit que faisait en craquant la neige, encroûtée par la gelée, après les chauds passages du chinouk. Le Père Lecomte et Boniface Laferté, son hôte, n’avaient vécu que d’écureuils.

À l’époque où les ours sortent de leur retraite d’engourdissement hivernal, le père avait à soutenir, par surcroît, une famille de désespérés, venue des montagnes Rocheuses. Il prit sa carabine et s’en fut demander à la forêt la nourriture de ces affamés. Il tua heureusement un ours, le mit en quartiers, et s’en chargea le dos. Comme il se hâtait d’arriver, il fit un faux pas, qui provoqua la rupture d’un vaisseau, dans la poitrine. Il rentra, en crachant le sang. La blessure ne guérit jamais. À tout effort violent, elle se rouvrait. Elle dégénéra en tumeur, dans la région du cœur.


Durant les quatre années qui lui restèrent à lutter contre la mort, le Père Lecomte continua à évangéliser les Esclaves, non plus à Nelson, mais au fort des Liards, au fort Simpson, au fort Wrigley, voyageant plus que jamais.

Au fort des Liards, il eut à goûter d’une autre amertume : une maison, qu’il finissait à peine de construire de ses mains d’habile charpentier prit feu, et brûla tout entière, sous ses yeux, en une demi-heure.


En 1892, le jeune missionnaire dut rendre les armes. Il ne pouvait plus supporter >que le riz, et à la Providence où il se trouvait alors, on lui dit qu’on n’en avait plus. Le moindre bruit lui déchirait la tête, et il lui fallait, pour trouver un docteur et un remède, faire 1,600 kilomètres, dans le vacarme des barges, des rapides, des grincements de rames, des imprécations de bateliers, des cahots de charrettes. Il les fit, en un mois de tortures, qui n’effacèrent pas un instant son sourire de résignation et d’affabilité.

À Saint-Albert, il y avait des médecins, des Sœurs de Charité, les tendresses de Mgr Grandin ; mais il était trop tard. Le 16 septembre 1892, le Père Lecomte mourut, comme mourraient les anges s’ils pouvaient mourir.