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eux un tel stimulant que, à force de l’affirmer et d’y croire, à force aussi de travailler à la réaliser, ils en firent une vérité : ils prouvèrent, en l’effectuant pour leur siècle, le mouvement en avant de l’humanité.

L’idée de progrès, en le sait, était bien loin d’être une idée nouvelle au dix-huitième siècle : on l’avait fort agitée au siècle précédent dans la fameuse querelle des Anciens et des Modernes et l’on peut, comme on l’a fait, rattacher à cette querelle la doctrine encyclopédique de la perfectibilité du genre humain[1]. Nous ferons remarquer cependant qu’au dix-septième siècle c’est surtout d’art et de littérature qu’il s’agissait ; et, par exemple, qu’Homère pût ou non être dépassé, c’est sur quoi on disputait avec acharnement de part et d’autre et la question importante était de savoir si les écrivains contemporains étaient capables d’égaler les auteurs anciens. Or, les hommes du dix-huitième siècle sont convaincus de la supériorité littéraire de leurs prédécesseurs et si l’on met à part quelques boutades de Voltaire et quelques sottises d’Helvétius, ils rendent tous hommage et un hommage d’autant plus sincère qu’il est attristé, aux inimitables génies de ce qu’ils appellent, avec découragement, le grand siècle du goût. Ce n’est plus du progrès littéraire qu’il s’agit maintenant, mais uniquement du progrès scientifique et de ses conséquences. Que d’ailleurs ils se soient souvenus ou non de Perrault et surtout de Fontenelle, ces modernes du siècle passé, les philosophes devaient être forcément, et que la querelle des Anciens et des Modernes eût éclaté ou non, des « progressistes », pour ces deux seules raisons qu’on pourrait même réduire à une seule : ils étaient physiciens et, comme tels, disciples de Bacon. On a pu, en effet, agiter confusément avant eux la théorie du progrès : le progrès restait une chose vague et sur quoi l’on pouvait avoir des « querelles » sans issue, tant qu’il s’appliquait surtout à l’art et à la littérature : dès qu’on le rattachait à la science et à la science

  1. Brunetière : La formation de l’idée de progrès au xviiie siècle. Études critiques sur l’Hist. de la littér. franç., 1893.