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Et enfin cet appui que la royauté eût trouvé chez les philosophes, encore qu’il eût été tout moral, n’en eût pas moins été tout-puissant, aussi puissant qu’était alors l’opinion publique. En effet, si les Parlements s’étaient enhardis jusqu’à décréter la suppression des Jésuites, c’est surtout parce qu’ils se sentaient soutenus et même poussés par l’opinion qu’avaient excitée et dirigée dans ce sens les philosophes ; et c’est ce que ne manque pas d’observer d’Alembert dans sa Destruction des Jésuites : « Les parlements, quand ils ont commencé à attaquer la Société, ont trouvé cette disposition dans tous les esprits. C’est proprement la philosophie qui, par la bouche des magistrats, a porté l’arrêt contre les Jésuites[1]. »

Quant au danger, très réel, qu’il y avait, pour un monarque absolu, à laisser se propager librement dans ses États une philosophie indépendante et raisonneuse, ce danger, il n’était pas impossible de le conjurer. Outre que, pour un roi, il est toujours plus sûr d’accorder à ses sujets certaines libertés de parole que de les condamner à un silence qu’ils rompront un jour par des appels à la révolte (comme firent à la fin les d’Holbach et les Raynal), un monarque habile eût facilement réduit au devoir les philosophes qui se seraient trop émancipés à son gré ; il eût pu leur dire à temps, comme faisait leur roi préféré, que : « les hommes abusant toujours de toute liberté, il faut bien que leurs ouvrages soient assujettis à l’examen, surtout si ce sont des libelles écrits contre le gouvernement[2]. » Ou, mieux en-

    giés, de noblesse ? L’idée de ne former qu’un seul corps de citoyens aurait plu à Richelieu : cette surface égale facilite l’exercice du pouvoir. »

  1. Ibid., p. 231. À la veille même de la Révolution, en 1788, et quand la royauté était acculée à la banqueroute, « le clergé se bornait à voter un don gratuit de dix-huit cent mille livres et soutenait plus aigrement que jamais ses prétentions traditionnelles… ; et Loménie de Brienne lui-même, outré de leur aveuglement et de leur égoïsme, s’écriait : « Puisque la noblesse et le clergé abandonnent le roi, qui est leur protecteur naturel, il faut qu’il se rejette dans les bras des communes pour les écraser tous les deux par elles. » (Debidour, Hist. des rapports de l’Église et de l’État, de 1789 à 1870, Alcan, 1898, p. 20.)
  2. Œuvres de Frédéric, édit Preuss, XXVI, 563, 551.