Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/184

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« Et pourtant, s’écrie Mercier, la noblesse sert-elle mieux dans les armées que cette foule de soldats intrépides qui, sortis des classes du peuple, ont, tout aussi bien qu’elle, l’honneur pour mobile ? Le grenadier qui, pour monter à l’assaut, plante sa baïonnette sur la muraille, ne sert-il pas noblement ? Depuis que l’éducation a donné aux hommes les mêmes lumières, ils sont également propres au service de la Patrie. » Réclamations fort justes, mais que la monarchie repoussait dédaigneusement ; car, à l’époque même où les bourgeois étaient devenus, par leur instruction, aussi capables que les nobles d’exercer les charges publiques, ils s’en voyaient, nous l’avons montré, plus obstinément écartés que jamais : « Il était, dit Tocqueville, plus aisé à un roturier de devenir officier sous Louis XIV que sous Louis XV. » Or, si les privilèges féodaux paraissaient plus vexatoires au paysan depuis qu’il était devenu propriétaire, de même l’exclusion des carrières publiques blessait plus vivement le légitime amour-propre du bourgeois, depuis que, par sa fortune et par ses talents, il était devenu l’égal du noble ; et l’on sait que l’un des plus puissants motifs, « le premier motif, selon Rœderer, de la Révolution, fut cette souffrance de l’amour-propre » et ce désir impatient de se faire « ouvrir la carrière des premières magistratures, des plus hautes dignités civiles et militaires, de pénétrer enfin dans les rangs jusque-là réservés à la naissance[1] ».

Sur ce dernier point, les Encyclopédistes sont d’autant plus pressants et diserts qu’en plaidant la cause de la bourgeoisie, ils plaident surtout la cause des Encyclopédistes. Si les dignités, en effet, doivent être accordées désormais aux plus intelligents et aux plus éclairés, qui donc les mérite mieux que ceux-là même qui dispensent les lumières aux autres ? Leur ambition, du reste, est, non pas précisément de substituer, mais d’ajouter à l’aristocratie de naissance l’aristocratie du talent ; non pas de supprimer les nobles, mais de les faire passer après les lettrés ; car, « s’il

  1. Rœderer, Didot, 1854, III : L’Esprit de la révolution.