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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/191

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égard, disons plus encore : quelle que fût l’inévitable part d’égoïsme et de vanité qui se mêlait alors à leur rêve politique, il était naturel que ce rêve vînt hanter des philosophes : s’il est vrai, comme ils l’enseignaient, que les lois sont ou, du moins, doivent être l’expression de plus en plus approchée de la raison, n’est-ce pas aux philosophes à les rédiger et à les appliquer et, par conséquent, à entourer et à seconder le monarque, ami de la justice ? C’est ce qu’on avait vu à Rome, alors que le stoïcisme faisait entrer de plus en plus dans les lois le « droit naturel » et que, réalisant le noble idéal de Platon, le monde était gouverné et charmé à la fois par des philosophes tels que Marc-Aurèle ?

On sait ce qui arriva chez nous : « Nous avons fait un beau rêve, mais il a été court », écrivait Condorcet à Voltaire au lendemain de la retraite de Turgot : la royauté, désormais rebelle à l’opinion publique, n’allait plus s’appuyer que sur une noblesse impuissante et sur un clergé discrédité. C’en était fait de ce « gouvernement des philosophes », qui devait réformer tous les abus et guérir tous les maux : mais c’en était fait peut-être aussi de la royauté, car ces abus et ces maux paraissaient maintenant plus irritants et plus intolérables que jamais. La chute de Turgot prouvait surabondamment deux choses : l’une, que des réformes étaient indispensables, puisque le roi lui-même en avait, par ses édits, reconnu et proclamé la nécessité ; et l’autre, que le roi renonçait à faire ces réformes. Il ne restait plus, dès lors, aux philosophes, qu’à tourner contre cette royauté, qui refusait de servir leurs intérêts et ceux de la nation, les armes qu’ils avaient jusque-là dirigées contre la noblesse et le clergé. Aussi, dès ce jour, aux amères diatribes contre les privilégiés et à l’ancienne guerre contre « l’infâme », viennent s’ajouter des attaques, de plus en plus directes et violentes, contre « la tyrannie profane qui s’est mariée à la tyrannie ecclésiastique ». Raynal ne craint plus de mettre son nom et même son portrait à une nouvelle édition de son Histoire philosophique (1780), et son livre, assez ignoré d’abord, va maintenant