Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/220

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il n’était pas, au début surtout, et pour les raisons que nous avons données, fortement constitué : ainsi, beaucoup des auteurs de l’Encyclopédie ne connaissaient pas même leurs collègues, dispersés qu’ils étaient, les uns et les autres, aux quatre coins de la France. La plupart des collaborateurs, disait Grimm, ne se connaissent pas même de figure[1]. « Nous sommes isolés », ajoutait, non sans chagrin, Diderot lui-même[2]. Quelques-uns de ceux qui habitaient Paris se voyaient sans doute, à jour fixe, dans plusieurs des salons les plus célèbres du temps. Ainsi, chez le maître d’hôtel de la philosophie, le baron d’Holbach, on disait tout ce qu’on voulait et comme il vous plaisait de le dire : mais c’est justement alors qu’on ne s’entendait plus ; car, après un succulent souper, les divergences dont nous avons parlé éclataient et mettaient aux prises les convives, devenus, après le champagne, plus expansifs et plus vrais, et rien ne ressemblait moins à une conspiration que leurs bruyantes disputes et ce fameux « sabbat » si insupportable à Mme Geoffrin. « Il ne faut pas croire, dit Morellet, que dans cette société toute philosophique (chez le baron d’Holbach), les opinions de Diderot fussent celles de tous. Nous étions là bon nombre de théistes, et point honteux, et qui nous défendions vigoureusement. »

Il y avait, d’ailleurs, une autre raison, et prépondérante, pour que la concorde ne régnât pas dans le camp des Encyclopédistes ; c’est que ceux-ci étaient gens de lettres, et, par conséquent, moins portés à s’entr’aider qu’à s’entre-déchirer : « On ne peut pas, avoue d’Alembert, leur reprocher l’union entre leurs personnes[3]. » Ils se brouillent, au contraire, très fréquemment, parfois même avec fracas, jusqu’à se faire, comme Diderot et Jean-Jacques s’en sont

  1. Grimm, III, 458.
  2. Encycl., III, Avertissement. « Où subsiste cette société ? Depuis douze ans et plus que l’Encyclopédie est commencée, ceux qui coopèrent à son exécution ne se sont pas assemblés une seule fois. » (Ouvrages parus sous Malesherbes, Bibliothèque nationale, Manuscrit f. fr. 22, 191.)
  3. Réflexions sur l’état présent de la républiq. des lettres.