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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/255

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qu’il s’apprêtât à étouffer « l’hydre de l’inoculation », il avait terrassé celle de la philosophie.

Malheureusement, au dix-huitième siècle, cette hydre est très fertile : « une tête coupée en fait renaître mille » et l’Assemblée du clergé de 1770, échauffée surtout par l’évêque du Puy, de Pompignan, et par le théologien Bergier, vint supplier de nouveau le roi de mettre un frein au débordement des écrits irréligieux ; les évêques, on l’a vu, avaient consigné leurs doléances dans un « avertissement sur les dangers de l’incrédulité », et, encore une fois, le roi en référa au Parlement. L’avocat-général Séguier, pourvu d’un « embonpoint incommode et d’une voix nasillarde », se fit « l’athlète de la bonne cause[1] ». Après s’être écrié, sur le mode antique : « Jusques à quand, messieurs, abusera-t-on de notre patience ? » Séguier, s’emparant des plus grandes hardiesses du Système de la Nature, qui venait de paraître, s’efforçait de montrer qu’en attaquant la religion, c’est l’État lui-même qu’on ébranlait : « L’ennemi de Dieu est l’ennemi de l’homme et de la société », puisqu’une chaîne étroite, indissoluble, « lie le chrétien avec le citoyen ». Les vœux de la philosophie ne seront remplis que « lorsqu’elle aura mis la puissance exécutive entre les mains de la multitude (ce qui était faux, on l’a vu), et lorsqu’elle aura détruit cette inégalité nécessaire des rangs et des conditions, avili la Majesté du Roi, précipité le monde entier dans l’anarchie ».

Quel fut l’effet de cette bouillante mercuriale ? Le Système de la Nature fut, avec tous les autres livres qu’avait flétris le gros et cynique Séguier, condamné à être brûlé, ce qui en assura le succès ; et, si l’on veut lire en entier le morceau d’éloquence que lui consacra M. l’avocat-général, sait-on où l’on peut le trouver imprimé tout au long ? à la fin du Système de la Nature, édition de 1770 : « Quand on crie la sentence d’un livre, les ouvriers de l’imprimerie disent : bon, encore une édition[2] ! »

  1. Mém. de Beugnot, 1866, I, 51.
  2. Diderot : Lettre sur le commerce de la Librairie.