Aller au contenu

Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/270

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

gens de lettres », tout comme pour l’Encyclopédie, se réunira pour rédiger tous les ans, par cahiers successifs, une réfutation des auteurs impies, sous ce titre : La religion vengée. Malheureusement, si les cahiers sont courts (72 pages), il y en a quinze par an, ce qui fait plus de mille pages par volume et « la Religion vengée » fera durer sa vengeance et le plaisir de ses abonnés pendant douze volumes. Et de même le laborieux père Gauchat (un nom qui semblait prédestiné aux calembours de Voltaire et que Voltaire, je ne sais pourquoi, a oublié de turlupiner), n’écrira, il est vrai, que des Lettres, mais il en écrira treize volumes, lesquels ne se lisent pas aussi vite que les volumes de lettres de Voltaire. Et ainsi, espèces de Micromégas littéraires, ils trouvent le moyen d’être très longs avec des volumes très courts. De même, le généralissime de l’armée anti-encyclopédique, Chaumeix, n’avait su prendre à Nicole qu’un titre, c’était peu, pour son volumineux fatras : Préjugés légitimes contre l’Encyclopédie [1]. Je ne sais pourquoi les Encyclopédistes ne s’étaient pas contentés de faire de l’inoffensif Chaumeix « un espion de la police » ; ils tenaient encore à ce que son père (en réalité, ingénieur des fortifications, à Metz) eût été vinaigrier et que même il eût importé d’Angleterre « le secret de perfectionner la fermentation acide par l’odeur d’un cadavre qu’il plaçait dans le fond d’un tonneau ». Ainsi s’expliquait, chez le fils, « ce sang âcre et brûlant, puisé dans des vapeurs violentes » qui lui faisait apparaître comme une œuvre colossale et comme la rivale heureuse de l’Encyclopédie, son insignifiante et soporative « asinopédie »[2].

Quand on a pris la peine (elle est réelle), de lire les

  1. Le titre complet est : Préjugés légitimes contre l’Encyclopédie et Essai de réfutation de ce Dictionnaire, par Abraham-Joseph de Chaumeix, d’Orléans, 8 vol., 1758-1759 : μέγα βίϐλιον μέγα κακόν ; devise qui était à l’adresse de l’Encyclopédie et qui finit par se retourner contre Chaumeix : aussi s’empressa-t-il de l’effacer dès le troisième volume.
  2. Mém. pour Abraham Chaumeix contre les prétendus philosophes Diderot et d’Alembert. Amsterdam, 1759. La Harpe l’attribue à Morellet (Corresp. littér., III, 283.)