Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/375

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pour tous les maux qui affligent l’espèce humaine, d’horreur pour tout ce qui, dans les institutions publiques, dans les actes du gouvernement et dans les actions privées, ajoutait des douleurs nouvelles aux douleurs inévitables de la nature ». Et peu à peu, des livres des philosophes se répandait, dans toutes les classes de la société, ce sentiment touchant que « la cruauté est une vraie maladie », comme s’exprime Mercier, simple interprète de l’opinion publique et que « le grand crime, c’est la dureté du cœur ». Et il ajoutait ailleurs, avec un sincère enthousiasme, que ce mot d’humanité était « le plus beau de la langue française ; n’avait-il pas démontré l’égalité des hommes, fait apercevoir le laboureur dans son sillon ?… » Qu’importe, en effet, qu’on soit noble ou vilain, protestant, catholique ou juif ; il suffit désormais qu’on soit homme pour exciter, si l’on est injustement frappé, l’indignation d’un philosophe et la pitié de tous : « Il ne s’agit que d’une famille obscure et pauvre de Saint-Omer ; mais le plus vil citoyen, massacré sans raison avec le glaive de la loi, est précieux à la nation et au roi qui la gouverne[1]. »

Cette idée que la vie d’un homme, quel que soit cet homme, est précieuse pour tous, est bien née en France au dix-huitième siècle ; et nos philosophes ne l’ont pas seulement proclamée chez nous : ils l’ont apprise à l’Europe, civilisée par leurs écrits. « Ils combattaient l’injustice lorsque, étrangère à leur patrie, elle ne pouvait les atteindre » ; et partout ils faisaient des disciples et « les éloges des écrivains français étaient, dit Condorcet, le prix de la tolérance accordée dans l’Europe entière. »

Cette tolérance, ou plutôt ce respect de la dignité individuelle, devait, logiquement, conduire au respect de la dignité nationale : aussi la France, toute pénétrée de l’esprit philosophique du dix-huitième siècle, après avoir proclamé la première les droits de l’homme, a-t-elle défendu dans le monde le droit des peuples, c’est-à-dire le droit qu’ont les peuples

  1. Voltaire : La méprise d’Arras.