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sembler, comme en un même arsenal, et, par conséquent, fortifier les unes par les autres toutes les hérésies religieuses et toutes les doctrines philosophiques si peu orthodoxes qu’on désigne déjà du nom de « matérialistes[1] » ; et enfin, puisqu’il se dit scientifique, ce Dictionnaire va donner aux vagues désirs de réformes ce qui leur manque pour devenir vraiment dangereux, une formule précise et systématique. Telles furent, en effet, les craintes que l’Encyclopédie inspira (à tort ou à raison, c’est ce que nous verrons plus loin), aux amis du pouvoir et de l’Église. Elle devait avoir, elle eut des ennemis même avant que de naître et d’Alembert pouvait parler plus tard de « l’envie qu’on avait de nuire à l’Encyclopédie même lorsqu’elle n’existait pas encore[2]. »

Ces considérations préliminaires nous feront mieux comprendre les vicissitudes de son histoire, que nous allons retracer.

Disons d’abord que l’idée de faire une Encyclopédie, c’est-à-dire de dresser l’inventaire des connaissances humaines, n’était pas du tout une idée nouvelle. Sans parler de l’antiquité, qui avait déjà compris, avec Aristote, que toutes les sciences forment un tout organique, l’on trouve, au moyen âge, et particulièrement au treizième siècle, de véritables encyclopédies qui portent les noms significatifs de Sommes, miroirs (speculum, summa, universitas, opus majus.) Déjà, en 470, un Africain, Félix Capella, avait écrit une manière d’encyclopédie, moitié prose, moitié vers, qu’on faisait apprendre par cœur dans les écoles et qui portait ce titre bizarre : De nuptiis Philologiæ et Mercurii. Nous trou-

  1. De Luynes, février 1752. À cette date, le mot était, il est vrai, prématuré.
  2. Encyclopédie, t. III. Avertissement. Condorcet dit, de même, dans sa Vie de Voltaire : « Un ouvrage où on devrait parler avec liberté de théologie, de morale, de jurisprudence, devait effrayer tous les partis politiques et religieux. » Et l’abbé Irailh : « On crut voir heurter tous les principes et anéantir toutes les lois divines et humaines sous cette idée de rassembler en un corps… le dépôt de toutes les sciences et de tous les arts. » Querelles littéraires, 1761, t. IV, p. 118.