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est bête ! » On n’osa pas cependant brûler l’Encyclopédie comme on avait fait le livre de l’Esprit, à cause des grandes sommes d’argent engagées dans l’entreprise. Le Parlement chargea neuf commissaires, théologiens ou avocats, d’éplucher consciencieusement les articles incriminés ; mais, pendant que ceux-ci travaillaient à cette œuvre méritoire, un arrêt du Conseil d’État révoqua purement et simplement le privilège de l’Encyclopédie[1]. On ordonnait aux libraires de restituer à chaque souscripteur 72 livres, prix des volumes payés d’avance. Deux mois plus tard d’Alembert, nous dirons plus loin pour quelles raisons, se séparait de Diderot. Pendant ce temps, les jésuites célébraient bruyamment la défaite des Encyclopédistes : il courait une estampe, en forme de médaille, représentant la religion qui, descendue d’un nuage, foulait aux pieds l’impiété avec cette légende en latin : la folle et l’impie sagesse foulée (Morosophia impia calcata)[2].

Ajoutons que Rousseau venait de se brouiller avec Di-

  1. L’arrêt du Parlement qui nomme les censeurs et fait défenses à tout imprimeur ou libraire de vendre aucun exemplaire de l’Encyclopédie, est du 6 février 1759. L’arrêt du conseil d’État, de 8 mars 1759, rappelle que le Roi, après avoir accordé des lettres de privilège à l’Encyclopédie, le 21 janvier 1746, avait dû ordonner la suppression des deux premiers volumes par son arrêt du 7 février 1752, « mais en considération de l’utilité dont l’ouvrage pouvait être à quelques égards, S. M. n’aurait pas jugé à propos de révoquer pour lors le Privilège, et se serait contentée de donner des ordres plus sévères pour l’examen des volumes suivants. Nonobstant ces précautions, S. M. aurait été informée que les auteurs dudit ouvrage, abusant de l’indulgence qu’on avait eue pour eux, ont donné cinq nouveaux volumes qui n’ont pas causé moins de scandale que les premiers, et qui ont même déjà excité le zèle du ministère public de son Parlement. Sa Majesté aurait jugé que, après ces abus réitérés, il n’était pas possible de laisser subsister ledit privilège : que l’avantage qu’on peut retirer d’un ouvrage de ce genre, pour le progrès des sciences et des arts, ne peut jamais balancer le tort irréparable qui en résulte pour les mœurs et la religion ; à quoi voulant pourvoir, le Roi étant en son Conseil, de l’avis de M. le chancelier, a révoqué et révoque les lettres de privilège obtenues le 21 janvier 1746 ; fait défense de vendre les volumes qui ont déjà paru et d’en publier de nouveaux, à peine de punitions exemplaires. »
  2. Irailh : Querelles littér., IV, 150.