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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/94

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et le plus beau monument de la nation et de la littérature » ; il les protégera même et surtout se vantera de les protéger auprès de ses grands amis, princes et rois ; il fera tant, en un mot, et se démènera si bien que, sans plus écrire une ligne pour le grand œuvre, il sera, pour tout le monde, « le plénipotentiaire de l’Encyclopédie ». Et, de fait, il est sincèrement avec eux, leurs succès et leurs revers l’exaltent et l’abattent tour à tour, car eux et lui s’entendent toujours sur l’essentiel, sur « le grand point, qui est d’anéantir l’infâme ».

Maintenant, cette parfaite entente contre l’ennemi commun ne l’empêche pas de porter sur ses compagnons d’armes des jugements très libres, qu’il se garde bien de formuler nettement dans ses lettres (elles font le tour du monde), mais qu’on arrive pourtant à deviner et à surprendre quand on sait lire entre les lignes. Même quand il les loue, il le fait avec une telle exagération qu’il semble nous dire : si je les porte aux nues, c’est que je ne les redoute pas et que le public fera toujours la différence entre un Voltaire et un Diderot. Il la faisait très bien lui-même au besoin : « Entre nous, écrit-il à d’Argental, il est plus facile de faire le métier de Diderot que celui de Racine » — et, conséquemment, que celui de l’auteur de Zaïre. Et ailleurs, englobant dans un même dédain tous les copistes de l’Encyclopédie : « Il est plus facile de copier le Targum que de penser. » Il sait bien et dit parfaitement ce qui le distingue, lui, l’auteur du Mondain et du Siècle de Louis XIV, de tous ceux qui n’ont pour tout bagage que leur philosophie : « L’esprit philosophique constitue le caractère des gens de lettres ; quand il se joint au bon goût, il forme un littérateur accompli. » Le bon goût, c’est justement ce que sa vieille amie, Mme du Deffand, reprochait aux « pédants » de l’Encyclopédie de trop ignorer ; « C’est vous, écrivait-elle à Voltaire, qui m’avez formé le goût ; leurs opinions (aux Encyclopédistes) peuvent être semblables aux vôtres et je les adopte volontiers ; mais, dans la forme et la manière, ils ne vous ressemblent assurément pas ». Et Voltaire ne se tient