Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/96

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

travaille à une édition de Corneille. Je gage que les notes dont elle sera farcie seront autant de petites satires. Il aura beau faire, beau dégrader ; je vois une douzaine d’hommes dans la nation qui, sans s’élever sur la pointe du pied, le passeront toujours de la tête ; (douze hommes, c’était beaucoup ! même en comptant, bien entendu, l’auteur de la lettre). Cet homme n’est que le second dans tous les genres. » Ce qui est peut-être juste ; seulement, s’il avait pu lire cette terrible phrase, qu’en eût dit Voltaire et se figure-t-on la belle colère du patriarche contre son cher « Platon-Diderot ! » Mais s’il ne connut pas cette lettre de Diderot, Voltaire connaissait bien tous ses collègues de l’Encyclopédie, et il pouvait, d’ailleurs, juger par lui-même des sentiments que les frères nourrissaient les uns à l’égard des autres. Aussi, dans un jour de franchise, leur écrivait-il, et ce mot fait pressentir tout ce que nous aurons à développer ailleurs sur la coterie encyclopédique : « Mes enfants, aimez-vous les uns les autres… si vous pouvez. »

Ce n’est pas la littérature qui, même sous la plume de Marmontel ou de Voltaire, tient la première place dans le grand Dictionnaire, mais bien la science, et c’est d’Alembert qui, dès le premier volume, s’en fait le héraut. Par son fameux Discours préliminaire, par ses préfaces et ses nombreux articles scientifiques dans les sept premiers volumes, par l’inspiration générale enfin que, de concert avec le directeur, il donna dès le début à l’œuvre entière, d’Alembert a mérité que la postérité associe son nom à celui de Diderot toutes les fois qu’elle parle de l’Encyclopédie.

Bien que de quatre ans plus jeune que Diderot, d’Alembert, au moment où paraissait l’Encyclopédie, était déjà célèbre, tandis que Diderot n’était guère connu que des lettrés par ses essais philosophiques et par quelques contes parus sans nom d’auteur ; d’Argenson l’appelle encore en février 1752 « un Monsieur Diderot ». En 1742, à l’âge de vingt-cinq ans, d’Alembert était entré à l’Académie des sciences ; l’année suivante, son Traité de dynamique « le