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Page:Dufour - Étude sur l’esthétique de Jules Laforgue, 1904.djvu/14

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mence. « M. Taine pose un principe qui assigne à chaque œuvre un rang dans l’échelle. Encore une fois, un tapis est une œuvre ; une partie de notes est une œuvre ; un griffonnage de Rembrandt ou de Degas sont des œuvres. Vous voyez qu’il n’y a plus qu’à tirer l’échelle. »

À quoi, en effet, peut-il servir d’assigner des rangs ? Le goût, variable selon les temps et les hommes, se peut-il accommoder de ces hiérarchies ? Supposons, pourtant, qu’un critique, d’intelligence assez ouverte pour tout comprendre, de sensibilité assez fine pour tout percevoir, de volonté assez ferme pour ne se laisser point aller à ses affinités instinctives, ait assez d’autorité sur nous pour nous imposer son classement. Mais ce classement, il serait fort empêché de le faire. Y a-t-il une commune mesure pour une cathédrale, une statue, un paysage, une symphonie, une tragédie ? Il faudrait donc une « échelle » pour l’architecture, une pour la sculpture, une pour la peinture, une pour la musique, une pour les lettres. Que d’échelles à tirer, pour reprendre le mot de Laforgue, dont l’enjouement raille si agréablement la gravité de Taine. Pareille difficulté dans chaque art. Vous êtes fondé à dire que Degas et Monet ont une même esthétique. Vous ne pouvez, pourtant, comparer une « danseuse » de l’un et une « meule » de l’autre. Prétendrez-vous que la tragédie est supérieure à la comédie, celle-ci au roman, celui-ci à la poésie lyrique ? Il n’y a que M. Brunetière qui enseigne et peut-être croie qu’à perfection égale la différence des genres est une raison pour guinder Athalie au-dessus de Madame