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VERS LES SOMMETS

XIII

Le vieux serviteur des LeBrun, le père « Ben », comme on l’appelait dans la région, avait toujours été un passionné de la politique. Quand des élections s’amenaient, il perdait le boire, le manger, le sommeil et la tête. Pensez donc ! Depuis soixante ans qu’il était d’une unique et même couleur, d’un seul et même parti, qu’il votait à deux mains pour ce parti sacré, pour cette couleur miroitante. Il n’avait jamais considéré une minute l’homme qui briguait les suffrages, fût-il le plus huppé des candidats. Beau temps ou mauvais temps, il avait promené dans toutes les assemblées tapageuses sa massive corpulence, ses longs cheveux indisciplinés et sa grande barbe ondulante, maintenant devenue toute blanche. On avait encore dans les oreilles l’écho de sa voix de stentor, ses frénétiques manifestations de dépit ou d’enthousiasme, selon le cas.

On peut donc imaginer le désarroi de son âme frustre, lorsqu’il apprit que Jules, son cher Jules, se présentait indépendant. Lui, ce pauvre vieux,