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Page:Dugré - La Pointe-du-Lac, 1934.djvu/79

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VII — La vie d’autrefois


Est-il possible, sans faire de l’imagination toute pure, de reconstituer la vie d’antan ? Certainement un peu : l’on n’a qu’à étudier la vie du colon moderne et de multiplier par cent, ou par mille, les misères des éventreurs de terre neuve.

D’abord, nos ancêtres ne partaient pas simplement en chemin de fer, pour quelques heures de trajet vers une forêt connue, avec possibilité de retour si ça ne va pas. Non. C’est tout l’océan qu’ils traversent sur des bateaux fragiles dont nous ne voudrions pas pour aller aujourd’hui à Gaspé ! Souvent des passagers meurent ; parfois le navire fait naufrage : ce qui est peu alléchant pour d’autres recrues.

Les périls des bois succèdent à ceux de la mer : on devient la proie de la sauvagerie et des sauvages. Les premiers colons emportent au bois leur fusil avec leur hache. Combien ne reviennent pas, le soir, que leur femme, toujours inquiète, retrouve morts et scalpés derrière une souche ou une gerbe…

Le martyre ordinaire suffit pourtant, ces travaux sans congés du défrichement sans aide. Lutte du petit David contre les géants de la forêt ; bataille quotidienne du bûcheron, résistance acharnée des troncs, des souches et des racines profondes qui ne veulent pas lâcher le sol. On n’a pas d’outils, on n’a pas de chevaux, on n’a pas de voisins. Mal nourris, mal logés, mal vêtus, obligés de courir aux expéditions pour gagner quelque argent ; privés de communications, de secours spirituels et corporels, les colons ne vivent que de leur rêve : laisser à leurs fils un morceau de champ agrandi, une demeure humaine à la place de l’éternelle futaie.

Il faut se faire une âme antique, se fermer les yeux et s’ouvrir l’imagination pour reconstruire un peu cette terrible vie d’autrefois, vaillante et féconde, qui accueille toutes les privations pour que la descendance ait tout le bonheur. N’insistons pas sur les souffrances morales de l’isolement et de l’inquiétude ; ne cherchons pas à analyser l’état d’âme de nos miliciens, survivant à Montcalm et à l’occupation anglaise et se demandant