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choisi la dislocation, l’écartèlement, et faute de bourreaux comme chez les Acadiens en 1755, nous nous sommes appliqué la torture nous-mêmes, et avec tant de furie que des lambeaux de notre race gisent épars, encore chauds ou déjà morts, sur tout un continent. Le tronc demeure vivace, mais on devrait enfin cesser de le saigner, de le déchiqueter ; il faut le panser, et si l’on ne peut pratiquer la greffe humaine ou une infusion de sang riche par une bonne immigration française, sauvons ce qui nous reste, permettons-lui de grandir sans tiraillement et dans la mesure naturelle : colonisons chez nous.


les pertes subies

Depuis quatre-vingts ans, l’émigration nous enlève chaque année une moyenne de quinze à vingt mille âmes, comme si une de nos villes, les Trois-Rivières, Hull ou Maisonneuve était engloutie par un tremblement de terre. Dès 1848, Mgr  Bourget veut faire dévier le courant vers les nouveaux Cantons de l’Est. En 1850, une lettre collective de NN. SS. les Évêques cherche à guider vers les terres neuves « ceux de nos frères qui seraient tentés d’émigrer, et de les retenir ainsi dans le sein de notre patrie, assez vaste et assez riche pour nourrir une population beaucoup plus nombreuse ».

Malgré tous les efforts du haut clergé, des prêtres colonisateurs et de quelques autres patriotes, les villes américaines nous ont arraché la moitié de notre peuple, les jeunes surtout, qui auraient dû produire et se multiplier pour notre pays, et qui souvent revenaient, minés par la tuberculose, semer la mort chez leurs parents du Canada. On reste donc en deçà de la vérité quand on escompte par le strict doublement des statistiques les pertes que nous avons subies depuis 1851. Nous serions aujourd’hui plus