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plus possible : les survivances de là-bas coûtaient trop de morts. Tandis que nos exaltés chantaient un hymne de triomphe pour chaque petite église de bois qui groupait nos tisseuses du Massachusetts ou nos défricheurs du Wisconsin, tandis que les discoureurs des St-Jean-Baptiste monstres de 1880 et 1884 récoltaient des applaudissements faciles avec des envolées délirantes sur les gains et les espérances de la race clairsemée dans le Kansas, l’Illinois, le Dakota et plus loin encore, sans s’occuper, bien entendu, d’y établir des collèges classiques qui pussent leur fournir des prêtres et une classe instruite ; tandis que l’on prédisait pour l’an 1934 quinze ou seize millions de Canadiens-Français marchant à la conquête de cette libre Amérique, nos vrais patriotes, ceux qui gardaient leur tête sur leurs épaules, laissaient gloser ces Athéniens de parade et tâchaient d’arracher aux gouvernements quelques bons lots de forêt, des bouts de chemins de fer et de la propagande colonisatrice. L’Emparons-nous du sol et les quatre-vingts paroisses de Mgr Labelle valent mieux pour nous que tous les discours, délégations, feux d’artifice et processions enrubannées de nos poseurs d’antan et de tous les temps. Quand on n’est pas un fleuve, on doit renoncer à inonder un continent. Si nous comptions 45,000,000 d’âmes comme la Grande-Bretagne, 70,000,000 comme l’Allemagne, 130,000,000 comme la Russie, ce serait une mince affaire, ce serait même une nécessité pour nous de déverser un million d’émigrants par année. Mais quand on n’est que deux millions, que les étrangers nous arrivent par trois cent mille et que nous perdons chaque année du terrain, ne pas serrer les rangs, laisser partir vingt mille de nos jeunes gens, c’est subir en pleine bataille la défection et la traîtrise d’un corps d’armée, qui va tirer contre nous… C’est à peu près ce qui nous arrive depuis soixante-dix ans, et vraiment l’on peut se demander comment il