Page:Duhamel - La Vie des martyrs.djvu/142

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prêtait à toutes choses les aspects et la consistance qu’elles ont pendant le cauchemar.

La monotonie même de cette existence était faite avec mille détails dramatiques dont chacun eût fait événement dans une vie normale. Je revois, comme à travers le brouillard des rêves, l’ordonnance d’un capitaine sanglotant au chevet du moribond et couvrant ses mains de baisers. J’entends encore ce petit garçon vidé de sang me dire avec une voix suppliante : « Sauvez-moi, docteur ! Sauvez-moi, pour ma mère… » et je pense qu’il faut avoir entendu ces phrases-là dans de tels endroits pour les bien comprendre, je pense qu’il faut tous les jours se faire une idée plus exacte, plus stricte, plus pathétique de la souffrance et de la mort.

Un dimanche soir, le bombardement reprit avec une réelle violence. Nous venions d’évacuer le général S.., qui fumait sur son brancard et devisait avec un calme allègre ; j’étais en train d’opérer un fantassin qui portait aux bras et aux cuisses des plaies larges et profondes. Il se fit tout à coup une grande rumeur. Une rafale d’obus s’abattait sur l’hôpital. J’entendis un bruit de démolition qui ébranla violemment le sol et les murailles, puis