Page:Duhamel - La Vie des martyrs.djvu/54

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Avec ses lèvres livides qui ne se distinguent plus du reste de la face, avec ses pupilles noires, immenses, l’homme montre un visage où resplendit une âme intacte qui n’abdiquera qu’au dernier moment. Il examine, presque sévèrement, sans illusion, le désastre de son corps, et, considérant les chirurgiens occupés à se brosser les mains il prononce d’une voix recueillie :

— Vous direz à ma femme que ma dernière pensée a été pour elle et pour mes enfants.

Oh ! ce n’est pas une question voilée, car, sans attendre, l’homme livre son visage au masque endormeur.

L’écho des paroles solennelles fait encore retentir la salle :

— Vous direz à ma femme…

On ne dupera pas cette mâle figure avec des consolations molles, des mots. La blouse blanche se retourne. Le chirurgien montre des yeux mouillés derrière ses lunettes, et, d’un accent profond, il répond :

— Nous n’y manquerons pas, mon ami.

Le patient cligne des paupières, — comme on agite un mouchoir sur le pont d’un paquebot qui