Page:Duhamel - La Vie des martyrs.djvu/75

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enfin, il revenait en France, mutilé, couvert de plaies, sachant sa femme et ses enfants sans ressource et sans appui dans la terre envahie.

De tout cela, Derancourt ne disait mot. Il ne savait, semblait-il, pas se plaindre, et promenait sur la misère environnante un regard grave, plein d’expérience, et qu’on eût dit un peu froid sans la mobilité frémissante des traits.

Derancourt ne jouait jamais, ne riait guère, recherchait la solitude, et passait des heures à tourner lentement la tête de côtés et d’autres, en contemplant le plafond et les murailles comme quelqu’un qui voit des choses au dedans de soi…

Un jour vint où il fallut opérer Derancourt pour faire de son moignon de cuisse une chose utilisable.

On l’etendit sur la table. Il restait calme, maître de lui comme à son ordinaire, regardant les préparatifs de l’opération avec une espèce d’indifférence.

On lui mit la compresse de chloroforme sous le nez ; il fit deux ou trois grandes inspirations et, alors, il se passa une chose étrange : Derancourt se mit à sangloter d’une façon affreuse et à parler