Page:Duhamel - La Vie des martyrs.djvu/77

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méchante balle. Mais il faut me l’enlever, monsieur le major. Il faut me l’enlever, et il n’y paraîtra plus. Ainsi parle un zouave qui gît, depuis trois jours, inerte, sur sa couchette.

— Si vous saviez comme je suis fort. Regardez-moi ces bras ! Il n’y a pas mon pareil pour décoller un sac, et, toc ! sur le dos. Cent kilos ! D’un seul coup…

Le médecin considère le torse musclé, et sa figure exprime de la compassion, du regret, de la gêne, et, peut-être, un certain désir de s’en aller…

— Mais il y a cette balle qui m’empêche de remuer les jambes. Il faut me l’enlever, monsieur le major, il faut me l’enlever !

Le médecin jette un regard sur les jambes paralysées, sur le ventre gros, déjà privé de vie. Il sait que la balle a brisé l’épine dorsale et coupé le cordon profond de la moelle qui portait l’ordre et la loi à toute cette chair désormais inanimée.

— Opérez-moi, monsieur, le major. Voyez, avec ma santé, je guérirai, je guérirai très vite.

Le médecin balbutie des choses vagues : l’opération serait trop grave pour le moment, il vaut mieux attendre…