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corps de deux éléments seulement, la matière et la forme ; mais cette forme peut être affectée de qualités dont le nombre n’est pas limité ; chaque propriété physique pourra ainsi être attribuée à une qualité spéciale ; qualité sensible, directement accessible à notre perception, comme la pesanteur, la solidité, la fluidité, le chaud, l’éclairement ; ou bien qualité occulte, que seuls ses effets manifesteront d’une manière indirecte, comme l’aimantation ou l’électrisation.

Les newtoniens rejettent cette multiplicité sans fin de qualités pour simplifier à un haut degré la notion de la substance matérielle ; aux éléments de la matière, ils laissent seulement masses, actions mutuelles et figures, quand ils ne vont pas, comme Boscovich et plusieurs de ses successeurs, jusqu’à les réduire à des points inétendus.

L’École atomistique va plus loin : chez elle, les éléments matériels gardent masse, figure et dureté ; mais les forces par lesquelles ils se sollicitaient les uns les autres selon l’École newtonienne disparaissent du domaine des réalités ; elles ne sont plus regardées que comme des apparences et des fictions.

Enfin les cartésiens poussent à l’extrême cette tendance à dépouiller la substance matérielle de propriétés variées ; ils rejettent la dureté des atomes, ils rejettent même la distinction du plein et du vide, pour identifier la matière, selon le mot de Leibniz[1], avec « l’étendue et son changement tout nud ».

Ainsi chaque École cosmologique admet dans ses explications certaines propriétés de la matière que

  1. Leibniz : Œuvres, édition Gerhardt, t. IV, p. 464.