Page:Duhem - Le Système du Monde, tome I.djvu/200

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
192
LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

X
LA DYNAMIQUE PÉRIPATÉTICIENNE ET L’IMPOSSIBILITÉ DU VIDE

Mais avant d’en venir à l’examen de cette définition, il nous faut indiquer une autre objection qu’Aristote dresse contre la possibilité du vide ; il tire cette objection des principes premiers de sa Dynamique : elle est particulièrement propre, d’ailleurs, à nous faire exactement comprendre le sens de ces principes, si profondément différents de ceux qui sont, aujourd’hui, couramment admis.

Dans tout corps qui se meut, nous avons accoutumé de distinguer deux éléments : la force qui meut et la masse qui est mue. Rien de semblable en la Physique péripatéticienne ; aucune des notions qu’on y rencontre n’a la moindre analogie avec la notion de masse telle que nous l’introduisons dans notre moderne Dynamique ; tout corps qui est nécessairement soumis à deux forces, une puissance et une résistance ; sans puissance, il ne se mouvrait pas ; sans résistance, son mouvement s’accomplirait en un instant, il atteindrait immédiatement le terme auquel il tend par la puissance ; la vitesse avec laquelle le corps se ment dépend à la fois de la grandeur de la puissance et de la grandeur de la résistance.

La vitesse du mobile doit varier dans le même sens que la puissance et en sens inverse de la résistance. Suivant quelles lois ? Selon une remarque fort juste de M. G. Milhaud[1], Aristote, mathématicien médiocre, n’a guère conçu qu’une forme de fonction mathématique, la simple proportionnalité ; aussi, dans sa Dynamique, toute grandeur qui est fonction croissante d’une autre grandeur est-elle, d’une manière explicite ou implicite, regardée comme proportionnelle à la première.

Tout d’abord, si la puissance qui meut le mobile et la résistance qui le retient demeurent toutes deux constantes, ce n’est pas, comme nous renseignons aujourd hui, un mouvement uniformément accéléré que le mobile va prendre, mais bien un mouvement uniforme ; voici un texte, emprunté à la Physique, qui nous l’affirmera ; il nous affirmera, en outre, que si l’on fait décroître la résistance en maintenant la puissance invariable, la vitesse aug-

  1. G. Milhaud, Études sur la pensée scientifique chez les Grecs et les Modernes, Paris, 1906, pp. 112-117.