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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

» Malheureusement, il ne reste pas grand’chose de l’œuvre du prêtre de Bel… ».

Cependant, par bonne fortune, nous savons ce que les Βαϐυλονιαϰά enseignaient au sujet de la Grande Année cosmique ; le fragment de l’ouvrage de Bérose qui avait trait à cette doctrine nous a été conservé par Sénèque en ses Questions naturelles. Voici ce qu’écrivait Sénèque[1] renseigné, sans aucun doute, par la Météorologie, aujourd’hui perdue, de Posidonius :

« Le déluge d’eau ou de feu, arrive lorsqu’il plaît à Dieu de créer un monde meilleur et d’en finir avec l’ancien… Bérose, traducteur de Bélus, attribue ces révolutions aux astres, et cela d’une manière si affirmative qu’il fixe l’époque de la conflagration et du déluge. Le globe, dit-il, prendra feu quand tous les astres, qui ont maintenant des cours si divers, se réuniront dans le Cancer et se placeront de telle sorte les uns sous les autres qu’une ligne droite pourrait traverser tous leurs centres. Le déluge aura lieu quand toutes ces étoiles seront rassemblées de même sous le Capricorne. La première de ces constellations régit le solstice d’été et l’autre le solstice d’hiver… ».

Que la vie du Monde soit périodique ; que sa période ait pour durée la Grande Année qui ramène tous les astres errants au même point du ciel ; que chaque période soit marquée par l’alternance d’un déluge d’eau et d’un déluge de feu, c’est une doctrine qui, venue peut-être de Chaldée, s’introduisit de très bonne heure en la Philosophie hellénique.

Anaximandre a, très vraisemblablement, professé l’opinion qu’au cours de l’éternité, se succèdent une infinité de mondes dont chacun a une durée limitée[2]. Eusèbe, renseigné par Plutarque, résume en ces termes[3] l’enseignement du vieux philosophe ionien :

« L’Infini (τὸ ἀπείρον) paraît avoir en sa possession la cause totale de la génération et de la destruction de l’Univers. C’est de cet Infini que se sont séparés les cieux et tous les mondes qui, pris dans leur ensemble, sont infinis (ϰαὶ ϰαθόλου τοὺς ἄπαντας ἀπείρους ὄντας ϰόσμους). De l’éternité infinie provient la destruction, comme la génération en était issue longtemps auparavant ; toutes ces générations et ces destructions se reproduisent d’une manière cyclique (ἀπεφήνατο δὲ τὴν φθορὰν γίνεσθαι ϰαὶ πολὺ πρότερον τὴν γένεσιν ἐξ ἀπείρου αἰῶνος ἀναϰυϰλουμένον πάντων αὐτῶν. » Clairement,

  1. Sénèque, Questions naturelles, livre III. cc. XXVIII et XXIX.
  2. Édouard Zeller, La Philosophie des Grecs, traduite de l’allemand par Émile Boutroux, t. I, pp. 238-239, Paris, 1877
  3. Eusèbe, Prœparatio Evangelica, t. I., c. VIII, art. 1.