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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome I.djvu/95

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LA COSMOLOGIE DE PLATON


Simplicius démontre[1] que ἰλλόμενη signifie enroulée, entourée de liens (δεδεσμημένη) ; l’autorité d’Eschyle lui sert à prouver que ἰλλόμενη a le même sens.

Cette double difficulté n’était pas sans jeter dans un grand embarras ceux-là même qui voulaient suivre l’opinion d’Aristote. Ici était le cas d’Alexandre d’Aphrodisias.

Le commentaire qu’Alexandre avait composé sur le De Cælo d’Aristote est aujourd’hui perdu ; mais les citations de Simplicius nous en ont conservé de très nombreux fragments, entre autres celui-ci[2] :

« Aristote prétend qu’il est dit ainsi dans le Timée [que la terre tourne] ; d’autre part, le mot ἰλλόμενη signifie être contraint par force βιάζεσθαι ; Aristote fait donc comme ceux qui prennent un passage dit dans un autre sens et qui en transportent métaphoriquement les paroles dans le sens de leurs propres suppositions ; ce mot ἰλλόμενη, en effet, ils le transforment en στρεφομένη, et ce dernier mot désigne le mouvement. Mais lorsqu’Aristote affirme qu’il est dit ainsi [au Timée], il n’est pas raisonnable de le contredire ; étant ce qu’il est, il est invraisemblable qu’il ait méconnu soit le sens de la locution, soit la pensée de Platon. Si, en d’autres endroits, Platon parle autrement », ajoute Alexandre, frappé de ce que le Phédon marque avec évidence[3], « cela importe peu au discours que tient Aristote. Celui-ci, en effet, réfute ce qui est dit au Timée, soit que Platon, en parlant ainsi, ait suivi son propre sentiment, soit qu’il ait entendu donner ce qu’il disait comme une opinion de Timée ».

Attribuer à la fois au Stagirite deux contre-sens, un contre-sens grammatical dans l’emploi d’un mot de la langue grecque, et un contre-sens philosophique en l’intelligence de la pensée de Platon, c’est assurément trop. Il semble (et Simplicius paraît indiquer cette solution, encore que d’une manière un peu confuse) que l’on puisse fort bien ne pas mettre cette double erreur au compte du grand philosophe mais au compte de ceux dont il rapporte l’opinion ; il suffit, pour cela, de lire ainsi la phrase du De Cælo : Cer-

  1. Simplicii In Aristotelis libros de Cælo commentarii ; in lib. I, cap. XIII ; éd. Karsten, p. 231, col, b ; éd. Heiberg. p. 517.
  2. Simplicii In Aristotelis libros de Cælo commentarii ; in lib. II, cap. XIII ; éd. Karsten, p. 231, col, b ; éd. Heiberg. p. 518.

    Ce fragment est formé de deux citations distinctes de Simplicius ; nous avons soudé ces deux citations entr’elles suivant une indication de Bœckh (A. Bœckh, De Platonico systemate caelestium globorum et de vera indole astronomiae Philolaicae, Heidelberg, 1810 ; (A. Bœckh’s Gesammelte kleine Schriften, Bd III, p. 271).

  3. Ces mots sont de Simplicius.