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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

leur révolution soit perpétuelle ; « le Ciel cesserait d’exister s’il cessait de se mouvoir. »

En outre, « ces corps[1] que l’hypothèse des excentriques obligerait à imaginer entre les corps célestes seraient des corps superflus, dénués de toute vertu et n’ayant d’autre effet que de remplir le vide », Or la nature ne fait rien de superflu.

Les astronomes n’auront-ils pas le droit d’opposer une fin de non-recevoir à ces objections et de déclarer que l’observation des mouvements astronomiques prouve la réalité des excentriques et des épicycles ? Averroès repousse de toutes ses forces cette fin de non-recevoir[2] : « Rien de ce qu’on observe dans le mouvement des étoiles n’oblige à admettre les excentriques ni les épicycles. » En faveur de cette hypothèse, « on ne trouve rien[3] dans les livres des mathématiciens, sinon ce qu’on observe dans les éclipses de Lune ; et peut-être pourrait-on imaginer une Astronomie qui s’accorderait avec le phénomène présenté par la Lune, et qui, cependant, se passerait de toute orbite excentrique. »

Pour écarter l’argument des mathématiciens, ces répliques sembleraient peut-être bien sommaires ; le Commentateur les reprend donc et les développe dans un passage[4] qui vaut d’être cité en entier.

« On ne trouve rien, dans les Sciences mathématiques, qui conduise à penser qu’il existe des excentriques ou des épicycles.

» Les astronomes, en effet, posent l’existence de ces orbites à titre de principes, et ils en déduisent des conséquences, qui sont précisément ce que les sens peuvent constater ; ils ne démontrent nullement que les suppositions qui leur ont servi de principes soient, en retour, nécessitées par ces conséquences.

» Or nous savons par la Logique que toute démonstration va du mieux connu au plus caché. Si ce qui est le mieux connu est postérieur à ce qui est moins connu, on a une démonstration en quia (τὸ ὅτι). Si, au contraire, ce qui est connu précède ce qui est moins connu, deux cas peuvent se présenter. Il se peut que l’existence de l’objet de la démonstration soit cachée et que la cause en soit connue ; on a alors une démonstration absolue, qui fait connaître à la fois l’existence et la cause de son objet. Si, au contraire, c’est la cause de l’objet qui est inconnue, on aura seulement une démonstration en propter quid (τὸ διότι).

  1. Averroès, Metaphysica, lib. XII, comm. 45 : Cf. : De Cœlo lib. II, comm. 32.
  2. Averroès, Metaphysica, lib. XII, comm. 45.
  3. Averroès, De Cœlo lib. II, comm. 32.
  4. Averroès, De Cœlo lib. II, comm. 35.