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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

corollaires qui soient la représentation fidèle des faits observés, c’est, pour l’astronome disciple de Ptolémée, l’œuvre essentielle de celui qui compose une théorie ; il serait bien fou de penser que l’expérience, lorsqu’elle s’accorde avec les résultats de ses déductions, en transforme les prémisses en vérités démontrées ; rien ne prouve, en effet, que des prémisses toutes différentes n’eussent pu conduire aux mêmes conclusions ; contre une telle erreur, Averroès a raison de le mettre en garde. Mais il ne commettra pas cette erreur, il ne tournera pas dans le cercle vicieux que lui reproche le Commentateur, s’il a perçu le but véritable assigné à l’Astronomie par Posidonius, par Ptolémée, par Proclus, par Simplicius : aux hypothèses qui portent sa théorie, il ne demandera pas d’être vraies, d’être conformes à la nature des choses ; il lui suffira que les résultats du calcul s’accordent avec ceux de l’observation, que les apparences soient sauvées.

D’une semblable théorie astronomique, Averroès ne veut pas se contenter ; il exige que la Science des mouvements célestes tire ses principes des enseignements de la Physique, et de la seule Physique qui soit véritable à ses yeux, de celle d’Aristote.

« Il faut donc[1] que l’astronome construise un système astronomique tel que les mouvements célestes en résultent et qu’il n’implique aucune impossibilité au point de vue de la Physique… Ptolémée n’a pu parvenir à faire reposer l’Astronoinie sur ses véritables fondements. L’épicycle et l’excentrique sont impossibles[2]. Il est donc nécessaire de se livrer à de nouvelles recherches au sujet de cette Astronomie véritable, dont les fondements sont des principes de Physique. Selon moi, cette Astronomie repose sur la considération du mouvement d’un seul orbe qui tourne simultanément autour de deux ou de plusieurs pôles différents ; le nombre de ces pôles est celui qui convient à l’explication des phénomè-

  1. Aristotelis Stagiritæ Metaphysica cum Averrois Cordubensis expositione ; lib. XII, summa II, cap. IV, comm. 45.
  2. Parfois, Averroès se mollirait moins sévère à l’égard de P Astronomie de Ptolémée. Au début de son exposition du traité des Météores, il examine ce qui arrive « si le Soleil se meut sur un excentrique ou sur un épicyele, ce qui résulte nécessairement de l’accélération et du retard de son mouvement sur le Zodiaque. » En vertu de cette supposition, le Soleil est à l’apogée quand nous sommes en été, au périgée quand nous sommes en hiver, ce qui rend nos climats plus tempérés. « C’en est assez pour que l’excentrique n’existe pas en vain. » (Aristotelis Stagiritæ Meteoroloagicorum libri IV cum Averrois Cordubensis media expositione ; ; lib. I. cap. I). D’ailleurs, Averroès avait composé un abrégé de l’Almageste ; cet abrégé ne nous a été conservé que dans la traduction hébraïque faite à Naples, vers 1230 ou 1235, par Jacob Anatoli ; cette traduction est inédite. [Maurice Steinschneider, Notice sur un ouvrage astronomique inédit d’Ibn Haitham (Bulletino de Boncompagni, t. XIV, p. 728, 1881)].