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LES DIMENSIONS DU MONDE

C’est d’Aristarque de Samos que le Naturaliste tient cette proposition que la distance de la Lune au Soleil est dix-neuf fois plus grande que la distance de la Terre à la Lune.

Le nombre de 126.000 stades qu’il compte de la Terre à la Lune est exactement la moitié du nombre de stades (332.000) qu’Hipparque et ses successeurs, modifiant légèrement le résultat obtenu par Ératosthène, attribuaient au méridien terrestre ; qu’il y ait là une simple coïncidence, ce n’est guère vraisemblable ; quelque astronome postérieur à Hipparque, pour des raisons qu’il nous est impossible de deviner, aura voulu mettre entre la Terre et la Lune une distance égale à la moitié de la longueur du méridien terrestre ; c’est cette évaluation d’une absurdité criante, mais toute récente alors, que Pline a eu la naïveté d’attribuer à Pythagore.

Pline poursuit, d’ailleurs, en ces termes[1] : « Pythagore, toutefois, par comparaison avec la Musique, nomme ton la distance de la Terre à la Lune ; de celle-ci à Mercure, il place un espace moitié moindre, et de Vénus à Mercure, il en met à peu près autant. De cet astre au Soleil, il compte une fois et demie la première distance. Du Soleil à Mars, il y a un ton, autant que de la Terre à la Lune. De Mars à Jupiter, il y a un demi-ton, et de Jupiter à Saturne, un demi-ton. Enfin, de là à la sphère des signes, il y a un ton et demi. Cela fait sept tons, ce que l’on nomme l’harmonie διὰ πασῶν, c’est-à-dire l’universalité de l’accord ».

Ces évaluations ne s’accordent pas avec ce que Pline avait dit d’après Sulpicius Gallus ; les intervalles de la Terre à la Lune, de la Lune au Soleil et du Soleil à la sphère des étoiles fixes, au lieu d’être entre eux comme 1, 2 et 3, sont dans les mêmes rapports que les nombres 1, Elles trahissent, d’ailleurs, une singulière ignorance de toute notion musicale, car elles attribuent 7 tons à l’octave qui n’en compte que six. Pline a copié sans critique quelque manuscrit corrompu.

À la même source ont puisé deux autres compilateurs, Censorin[2] et Martianus Capella[3]. L’un et l’autre admettent, comme Pline, que 126.000 stades mesurent la distance de la Terre à la Lune, que cette distance est censée représenter un ton, que les épaisseurs des divers orbes célestes sont entre elles comme les inter-

  1. Pline, Op. laud., cap. XXII.
  2. Censorinus, De die natali cap. XIII.
  3. Martianus Capella, De nuptiis Philologiœ et Mercurii liber II, 169-198.