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LES DIMENSIONS DU MONDE

Nous n’insisterons pas davantage sur cette théorie de l’harmonie des sphères célestes. Le lecteur désireux de plus amples détails Les trouvera dans les écrits d’A. Bœckh, de Th. H. Martin et de Paul Tannery. Mais bien loin que le lecteur ne sollicite de nouveaux éclaircissements, nous craignons plutôt qu’il ne nous reproche d’avoir trop longuement étudié cette doctrine, car il la réputera peut-être, avec Th. H. Martin[1], une « étrange aberration de l’esprit humain ».

Vouloir que les êtres réels offerts par la nature à notre observation suivent certaines lois arithmétiques, alors que la seule raison d’être de ces lois, c’est la séduction exercée sur notre esprit par des combinaisons numériques simples et régulières, voilà, assurément, une exigence que le logicien rigoureux doit réputer illégitime. Mais celui qui se propose de retracer fidèlement l’histoire de la Science ne saurait méconnaître à quel point cette tendance semble naturelle à certains génies, et non des moindres, avec quelle puissance elle les sollicite, et, parfois, avec quel bonheur elle les mène à la découverte de la vérité.

Le désir de soumettre les intervalles des corps célestes à des règles arithmétiques harmonieuses n’a pas seulement provoqué les astronomes de l’Antiquité aux tentatives dont nous venons de donner un très bref exposé. Plus tard, Kepler reprenait, avec une audace tout aussi peu justiliée, des essais analogues ; et c’est probablement de ces essais, si heureusement illogiques, que nous tenons l’une des trois lois qui ont immortalisé l’Astronome wurtembergeois, la loi selon laquelle les carrés des temps des révolutions des planètes oui, entre eux, les mêmes rapports que les cubes des grands axes des orbites ; bien loin, en effet, que Képler doive l’invention de cette loi à sa Dynamique, il a dû fort laborieusement transformer sa Dynamique pour la mettre d’accord avec cette loi.

Vers la fin du xviiie siècle, un professeur de Berlin, Bode, trouvait que Les distances des planètes du Soleil étaient sensiblement dans le même rapport que les nombres

4, 7, 10, 16, 28, 52, 100, 196,


obtenus en ajoutant le nombre 4 à chacun des termes de la progression géométrique, de raison 2,

3, 6, 12, 24, 48, 96, 192,


devant laquelle on a mis le terme 0.

  1. Th. H. Martin, Études sur le Timée, t. II, p. 39.