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LA THÉORIE DES MARÉES ET L’ASTROLOGIE

vrira-t-on de la contingence dans ce monde sublunaire qui est, d’une manière nécessaire, ἐξ ἀνάγχης, sous la dépendance des circulations célestes, éternelles et immuables ? Aristote ne nous le dit pas, et il est évident qu’il n’aurait pu nous le dire. Toute sa philosophie réclame qu’un déterminisme absolu règne dans l’Univers. Sa conscience lui criait qu’il était capable d’agir, qu’il avait pouvoir, à son gré, de produire ou d’empêcher certains effets ; il a donc dû lui concéder qu’il y avait, ici-bas, de la contingence ; mais par cette concession illogique, il a rompu tout l’enchaînement de sa doctrine.

Si l’on veut être conséquent avec soi-même, on doit ou bien rejeter l’axiome astrologique qui condense en lui toute la Physique et toute la Métaphysique péripatéticiennes, ou bien livrer le monde au fatalisme absolu.

Les Stoïciens ont pris ce dernier parti. En regardant l’Univers comme un mécanisme parfaitement lié où le moindre mouvement de la moindre pièce impose, à chacune des parties de la machine, un déplacement exactement déterminé, ils ont vraiment tiré du Péripatétisme la conséquence que toute cette doctrine réclamait.

D’autres ont pris parti contre eux ; à ce fatalisme stoïcien, ils ont voulu soustraire un domaine contingent où l’homme eût le pouvoir d’agir à son gré ; mais pour le faire sans encourir le reproche d’illogisme, ils ont compris qu’il leur fallait renoncer à l’axiome astrologique d’Aristote, qu’il leur fallait nier l’empire absolu des circulations célestes sur les transformations du monde inférieur. C’est parmi ces partisans du libre arbitre que se range Plutarque.

Plutarque est un adversaire résolu du déterminisme stoïcien ; il se complaît à combattre les affirmations que Chrysippe avait formulées à ce sujet. Il rappelle[1] cet aphorisme du célèbre stoïcien : « Aucune chose partielle, fût-ce la plus petite, ne se peut produire si ce n’est conformément à la commune nature et à la raison de cette nature. — Οὐθὲν γάρ ἐστιν ἄλλως τῶν ϰατὰ μέρος γενέσθαι, οὐδὲ τοὐλάχιστον, ἢ ϰατὰ τὴν ϰοινὴν φύσιν ϰαὶ ϰατὰ τὸν ἐϰείνης λόγον ». Mais, poursuit-il, aux antipodes mêmes on sait que la commune raison de la nature, le Destin, la Providence et Jupiter, pour Chrysippe, c’est tout un ; voilà donc que Jupiter est cause de tous les événements de ce monde, même des plus mauvais et des plus honteux.

  1. Plutarchi De Stoïcorum repugnantiis cap. XXXIV (Plutarchi Chaeronensis Scripta moralia, éd. Firmin Didot, t. II, p. 1284).